Elle arpente les couloirs du lycée, en long, en large, en travers. Elle court, inlassablement. Il ne lui reste plus que quelques minutes avant la Fin. Avant que tout ne disparaisse. Elle doit le retrouver, il faut qu'elle lui dise...
Lui dire quoi ? Lui dire, tout simplement. Quand elle sera près de lui, elle saura. Il est celui avec qui elle veut passer ses derniers instants.
Alors elle se démène, à la recherche désespérée du moindre indice de son passage. Autour d'elle, une foule d'élèves terrifiés s'agite. Les Dindes font leur ultime selfie #FinDuMonde, les couples s'embrassent passionnément... Mais c'est comme si tout cela n'existait pas. Son esprit est tourné vers lui, qui vient d'ailleurs d'apparaître à l'autre bout du hall.
Il lui lance un regard froid, inexpressif, le même qu'il a pour elle chaque jour depuis ce maudit mardi. Elle mérite qu'il la haïsse... Mais aujourd'hui, ce regard ne l'arrêtera pas. Elle ne quittera pas ce monde sans lui avoir parlé. Il s'enfuit, elle le poursuit.
Leur course s'achève enfin, dans une quelconque salle de français. Ses yeux ont changé, montrant à nouveau l'émotion qu'elle aime tant. Ses bras tendus vers lui, elle avance, et laisse s'échapper les mots qu'elle retenait jusqu'alors.
"L...". Trop tard. Sans un bruit, tout s'est fini. Leurs mains si proches de se toucher, la salle de français, les gens dehors, le monde entier s'est effacé.
***
Elle est assise sur une simple chaise, dans une pièce paraissant à la fois sans fond et exiguë, à la fois peinte en blanc et sombre. Sur ses genoux, un ordinateur quelconque, auquel ses mains sont attachées. Elle doit répondre au Test. Des questions simples allant de "As-tu déjà menti ?" à "Avec combien de personnes as-tu eu des relations sexuelles ?". Elle coche les réponses, lentement, difficilement.
"As-tu été infidèle ?". Le "oui" et le "non", chacun accompagnés d'une case, lui semblent soudain insurmontables. Elle hésite, tremble... Ment. Les lettres noir sur blanc s'animent, deviennent assourdissantes. Le corps parcouru de spasmes, elle change sa réponse, admet.
Aucun mensonge ne passe. Chaque dissimulation lui cause une douleur incroyable, ainsi que l'apparition de nouvelles marques à l'emplacement habituel.
"Si je suis morte... pourquoi j'ai mal ? Pourquoi je saigne..?"
Elle achève enfin le questionnaire. L'écran devient noir, puis blanc, passe par toutes les couleurs possibles et imaginables. Les murs se rapprochent, s'obscurcissent. Le sol disparaît, tout comme l'ordinateur. Sans décoller de sa chaise, elle se sent tomber.
***
Son assise est décidément toujours aussi inconfortable, bien que la chaise soit devenue un large fauteuil orné de piques.
Les quelques chandeliers alentours éclairent ce qui semble être la plus étrange et la plus glauque des salles à manger imaginables : sur le mur en face d'elle, un portrait de famille, sa famille, au soleil, en plein câlin collectif, l'air le plus heureux du monde. Mais elle ne se voit pas dans cette image. Son emplacement est couvert d'un linceul effiloché. Quelques gribouillis, similaires à ceux qui recouvraient ses feuilles de cours, complètent la décoration. L'intégralité des couverts de la table sont placés pointes tournées vers elle, mais demeurent cependant moins menaçants que les autres convives.
Sur les cotés de la longue table rectangulaire sont installés, mains et lèvres constellées de sang, les personnages sinistres qu'elle aurait préféré ne jamais revoir. Juste à sa gauche la fixe une blonde au regard polaire orné de nombreux piercings, dont le sourire en coin suffit à faire remonter les pires sentiments au monde. A sa droite, deux ombres assorties de deux paires de mains baladeuses armées d'un couteau étincelant se rapprochent dangereusement. Plus loin, le ténébreux 666, alias le pire idéal dont elle ai pu rêver, isolé du monde par ses écouteurs, bat une mesure macabre. A coté de lui, une autre blonde, celle-ci aux yeux foncés, écrit dans un petit carnet rose la longue liste de ses secrets, comptant bien la diffuser.
Enfin, présidant l'assemblée, lui faisant face depuis son immense trône à l'autre bout de la table, Satan, sous la forme d'un petit démon rouge en costume-cravate. Son visage se fend d'un immense sourire vicieux lorsqu'il annonce cérémonieusement : "Bon appétit...".
Les cafards géants faisant office de serveurs soulèvent les cloches couvrant le plat suivant. Lorsqu'elle pose les yeux sur son assiette, son cœur sort littéralement de sa poitrine, et s'enfuit en courant. Son estomac, quant à lui, se noue entièrement face au dilemme qu'il va devoir déguster.
Délicatement posés sur quelques feuilles de salades, et assaisonnés avec raffinement, l'Ombre et le Soleil sont prêts à lui servir de repas.
***
Elle se réveille en sursaut, trempée, cherchant désespérément de l'air. De l'eau, de l'eau... Elle allume sa lampe de chevet. Le lumière rougeâtre vacille, et grille, lui laissant juste le temps t'entrevoir le sang. Le sang, partout. Son sang. Il la submerge, en même temps que l'angoisse, la panique. Elle cherche à s'échapper, mais les invités du banquet infernal encerclent son lit, murmurant tous les mots qu'elle cherche à oublier. Les couverts la transpercent, et la dernière chose qu'elle aperçoit est son cœur qui saute par la fenêtre.
BIPBIPBIP ! BIPBIPBIP ! BIPBIPBIP ! BIPBIPBII...
(Zombie -The Cranberries )