Elle est seule. Seule avec la Bête. Sa plus fidèle amie.
Qui a-t-elle d'autre ? Personne ne l'a jamais autant accompagné que cette présence.
C'est la seule chose capable de faire taire les voix dans sa tête. Les voix. Les voix qui lui rappellent qu'elle vient de voir sa mère qui riait en la voyant pleurer. Les voix qui lui répètent qu'il la trompe, que personne ne l'aime, qu'elle fait fuir les gens. Les voix qui murmurent chaque maudite seconde de sa vie tout ce qu'elle cherche à oublier.
La Bête, elle, est silencieuse. Sa compagnie est semblable à une main sur l'épaule, un fantôme qui guiderait ses gestes pour la soigner. Elle semble détachée du bien et du mal, elle existe, simplement. C'est une amie indissociable, un bras plus fort et plus courageux qui sait appuyer ses mouvements.
***
Elle est face à son miroir, depuis un moment déjà. Chaque détail l'obsède. Elle ne se reconnaît plus.
Depuis quand n'est-elle plus cette gamine grosse, complètement seule, aux dents monstrueusement décalées, qui passait son temps derrière un livre ? Depuis quand a-t-elle un regard si sombre, et autant de zébrures au creux de son coude ? Depuis quand ressemble-t-elle à cette étrangère égarée et effrayée par elle-même ?
Elle baisse les yeux sur son corps. Ce corps qu'elle hait depuis plus de six ans, pour des raisons très variables. Des images lui reviennent par vagues. Celle qu'elle était il y a longtemps. Flash. Son régime, la Liste. Flash. Le temps passé à courir dans les collines. Flash. Les insultes, incessantes. Flash. Ses cheveux coupés, au sol. Flash. Ce que son corps est devenu. Flash. Ce qu'elle en a fait. Flash. Les deux ombres. Flash. La douleur. Les coups. Les sanglots. Flash. Flash. Flash.
La Bête reviens, avant que les larmes ne commencent. Elle se met dans son lit, tandis que l'étrange présence reste à son chevet, pour l'aider à prendre son "médicament". Un trait pour sa tristesse. Un trait pour sa douleur. Un trait pour tout ce qu'elle a fait.
Quelques picotements au bras gauche, elle s'endort.
***
Lorsque son réveil sonne, la Bête a disparu. Il ne reste d'elle que la vieille lame de taille crayon.
Tandis qu'elle constate une nouvelle fois l'étendue des dégâts, le fond sonore s'enrichit du chant joyeux de sa petite sœur, qui dès 6h30 du matin a pour habitude de faire éclater son bonheur en dansant sur du Katy Perry.