LA PÉNINSULE DES BALKANS ***
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ÉMILE DE LAVELEYE
LA PÉNINSULE DES BALKANS
VIENNE, CROATIE, BOSNIE, SERBIE, BULGARIE ROUMÉLIE, TURQUIE, ROUMANIE
TOME I
PARIS FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR SUCCESSEUR DE GERMER-BAILLIÈRE ET Cie 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
1888
BRUXELLES P. WEISSENBRUCH, IMP. DU ROI 45, RUE DU POINÇON LA PÉNINSULE DES BALKANS LIBRAIRIE C. MUQUARDT
ÉDITEUR A BRUXELLES A _L'ILLUSTRE DÉFENSEUR_ DES NATIONALITÉS OPPRIMÉES W. E. GLADSTONE
INTRODUCTION
SITUATION ACTUELLE DE LA QUESTION BALKANIQUE
Depuis que mon livre sur la péninsule des Balkans a paru, l'attention du monde entier s'est fixée sur cette région, avec une anxiété croissante. On craignait qu'il ne s'y produisît entre la Russie et l'Autriche un choc qui aurait mis en armes et aux prises tous les peuples de l'Europe et de l'Asie septentrionale, depuis l'Etna jusqu'au cap Nord et depuis l'Atlantique jusqu'aux rivages lointains de l'océan Pacifique et aux bouches de l'Amour. Comment ce qui se passe en Bulgarie, dans cette partie si écartée de notre continent, peut-il à ce point menacer la paix, que tous les peuples et même, semble-t-il, tous les souverains désirent également maintenir? C'est que nous touchons à un moment de l'histoire où vont se décider les destinées de l'Orient et, par suite, celles de l'Europe tout entière.
La Russie a affranchi la Bulgarie au prix d'immenses sacrifices en hommes et en argent. Peut-elle souffrir que ce jeune pays, dont elle comptait faire l'avant-garde de sa marche en avant vers la Méditerranée, échappe complètement à son influence et devienne l'allié de sa rivale l'Autriche-Hongrie? L'instant est décisif. Deux éventualités se présentent: ou bien la Bulgarie se constitue en dehors de l'influence russe, et malgré la Russie, et plus tard sous les auspices de la Hongrie se forme une fédération balkanique, que la Roumanie défend dans le camp retranché créé en ce moment à Bucharest, ou bien la Bulgarie devient la vassale et le poste avancé de l'empire moscovite. Dans le premier cas, Constantinople et les rives de la mer Égée échappent définitivement à la Russie et ce n'est plus que dans les plaines illimitées de l'Asie qu'elle peut s'étendre. Dans le second cas, la Bulgarie russifiée et un jour agrandie entraîne la Serbie, prend à revers la Bosnie et, de Philippopoli, domine le Bosphore; l'occupation de Constantinople par une armée bulgaro-russe est tôt ou tard inévitable. Deux fois déjà, les armées russes sont parvenues presque en vue de la Corne-d'Or, et pourtant leur base d'opération était alors l'Ukraine et elles devaient s'avancer, d'étape en étape, en franchissant la Moldavie, le Danube et les Balkans. Partant de la Roumélie, elles arriveraient en quelques jours à la mer de Marmara et au Bosphore. Il ne faudrait pas longtemps pour que la Péninsule, slave de race et orthodoxe de religion, devînt, comme la Finlande, une dépendance du grand empire du Nord. La Grèce pourrait-elle alors conserver son indépendance? Et quel serait le sort réservé à l'Autriche-Hongrie, dont les populations slaves, plus nombreuses que toutes les autres réunies, résisteraient difficilement à l'attraction presque irrésistible qu'exerce aujourd'hui le principe des nationalités?
Quand on réfléchit aux termes du problème, on comprend qu'il doit exister un antagonisme irréconciliable entre la Russie et l'Autriche-Hongrie. Pour les deux empires, des intérêts vitaux sont en jeu. Pour la Russie, il s'agit de son expansion vers le Midi et pour l'Autriche-Hongrie de son existence même. Il faudra des deux côtés beaucoup de modération, de prudence et d'égards réciproques, si l'on veut éviter la lutte.
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