J'écrase ma clope après avoir tiré une dernière bouffée.
Je ferme les yeux et écoute les gouttes de pluie s'écraser sur la toile de mon parapluie et m'imagine ailleurs.
Allonger dans mon lit au chaud à écouter la pluie tambouriner sur le toit, plutôt que debout sur ce quai, sous ce parapluie saisi par le froid et l'humidité à attendre ce foutu train qui n'arrive pas.
Mais n'ai je pas décidé moi-même de faire ce voyage ?
Le grincement caractéristique du trainen approche me ramène à la réalité.
Effectivement, le voilà ralentissant et entrant en gare.
Les portes s'ouvrent dans unchuintement.
Je monte, et vais m'asseoir à l'étage« côté fenêtre ».
Le train repart et prend de la vitesse progressivement.
Un retardataire arrive sur le quai encourant mais voyant qu'il arrive trop tard, s'arrête découragé.
Le malchanceux, et la gare disparaissent pour être remplacer par les immeubles de banlieue, ces innombrables blocs de béton gris.
A cette heure, les gens sont encore en partie chez eux.
Et je me délecte de ces aperçus fugitifs que représente chaque fenêtre éclairée.
Je le reconnais, c'est un peu voyeur,mais j'adore saisir ces instantanés de vie quotidienne.
Un couple en train de préparer son petit déjeuner dans une cuisine.
Une petite mamie donnant à manger à son chat.
Cette femme saisissant son sac à la volée avant de probablement se précipiter vers la porte d'entrée.
Un gamin en train de regarder le train passer.
Cela ne dure qu'un instant à chaque fois mais je ne peux brider mon imagination, qui me joue systématiquement la suite de chaque scénette.
Les immeubles s'éloignent alors et les voies semblent se multiplier autour de moi. Le train ralentit alors que nous nous approchons de la gare centrale.
Une foule dense attend sur le quai que le train s'arrête et que les portes s'ouvrent.
Je ne peux m'empêcher de revoir ces images de troupeaux de bétails en route pour la tonte, la traite ou l'abattoir.
Non pas que je considère mes concitoyens comme des ruminants, mais les mouvements de foule m'évoquent systématiquement ce type d'images.
Une ville reprenant une activité trépidante au rythme du pas cadencés des millions de personnes la parcourant dans une grande fuite en avant.
Les sièges libres autour de moi sont rapidement tous occupés et certains voyageurs sont obligés de rester debout.
A côté de moi, s'est assise une dame d'un certain âge dégageant une élégance naturelle rehaussée par quelques traits de maquillage aux tracés millimétrés et l'odeur d'un parfum entêtant.
Un train arrive en sens inverse de l'autre côté du quai et s'arrête, au dessus de cette cohue de passagers montant et descendant, je te voie.
A travers le verre encore ruisselant,je capte ton regard et tu saisis au vol le mien.
Tu me souris, mon cœur s'emballe, un soleil éclaire ce début de matinée maussade.
Charmé instantanément par ce regard malicieux et ce sourire espiègle.
Je reste là à t'observer comme si le temps avait cessé d'exister.
Le signal de fermeture des portes retentit, et je réalise que tu ne seras plus dans quelques instants qu'un agréable souvenir ayant égayé ma matinée et je me rend compte que je souhaite te revoir, ne pas te perdre comme ça bêtement, ne pas te voir disparaître au milieu du milliers de visages anonymes m'entourant.
Dans un éclair de lucidité, alors que mon train commence à se mettre en mouvement, je te désigne mon numéro de portable par une succession de rapides mouvement de doigts et mains.
Je n'ai pas le temps de les répéter une seconde fois que tu disparais.
Je sors aussitôt mon portable de ma poche.
As-tu compris ?
As-tu eu le temps de prendre mon numéro ?
Vas tu m'appeler ?
Le train sort de la gare, pour entrer dans un tunnel.
A l'extérieur l'obscurité gagne en épaisseur, et le reflet de mon visage est de plus en plus visible dans la vitre.
Mes yeux brillent d'espoir et d'impatience. Pourvu que...
La luminosité augmente peu à peu,jusqu'à ce que la rame soit baignée à nouveau par la lumière blafarde de ce jour gris.
Je scrute avec avidité l'écran de mon portable attendant que les petites barres apparaissent me signalant qu'il capte à nouveau le signal.
Une...
Deux...
Trois...
Ça s'arrête là.
Je suis si tendu que la dame à côté de moi me jette un regard où se mêlent curiosité et réprobation.
Il vibre.
Je viens de recevoir un sms.
Un numéro inconnu.
Je l'ouvre.
« Salut, comment ça va ? »
C'est toi...
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L'inconnue du Train 64.
Short StoryDeux trains. Un échange de regard. Un coup de foudre?