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       Aujourd'hui madame M. est partie rejoindre son mari.

       J'ai connu cette dame il y a maintenant plus de cinq ans. Ma mère, aide-ménagère depuis peu, allait alors travailler chez ce couple d'anciens commerçants. Bien qu'ils aient passé une grande partie de leur carrière à exercer leur talent pour la conversation, la paisible retraite qu'ils menaient à l'écart du tumulte de la ville – exercice si différent de leur ancienne vie ! – leur convenait parfaitement. Ils avaient d'ailleurs le bonheur d'accueillir quelques fois leur fils au sein de leur havre de paix. Quelques fois seulement puisque, entraîné par sa passion pour les voyages, il n'avait pas souvent le temps d'être présent. Mais après tout c'est sa vie. Son choix.

       Par un de ces tristes hasards de la vie, c'est moi qui aie dû annoncer à ma mère le décès brutal de monsieur M. survenu il y a trois ans. Déjà à l'époque je m'étais surpris à éprouver une inexplicable sensation. Était-ce de la tristesse ? Je ne pourrais le dire. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Après tout je ne le connaissais pas. Pourquoi me suis-je alors trouvé mal à ce moment ? Pourquoi un tel ressentiment ? Pourquoi cette forme de mélancolie ? Comme si d'un claquement de doigt on se rendait compte que tout ce que l'on a accompli dans le passé était parfait et que maintenant tout est gris, triste, et surtout, que les choses ne bougeront plus jamais. On est meurtri dans sa chaire jusqu'à en vouloir à la vie elle-même. Et puis le temps passe. Nos vies reprennent leurs droits. On s'en remet. On passe à autre chose. La vie continue.

       Je pense souvent aux jeunes parents débordants d'amour pour leur enfant mais qui ne peuvent parfois faire abstraction d'une certaine colère. On a beau expliquer plusieurs fois de ne pas jouer avec l'eau dans la salle de bain, de faire attention à la fragile lampe du salon et de ne pas aller trop vite sur son vélo, il faut tout de même sortir serviette, balais et pansements. Cet énervement-là, madame M. en a souvent été la cause. Écoute à sens unique, petites manières et autres demandes insensées était un lot quotidien. Tout cela aurait pu pousser ma mère à bout de nerfs mais, comme le sourire de l'enfant dégage le ciel nuageux des humeurs parentales, l'innocence solitaire de cette dame forçait le respect et encourageait le cœur.

       Un dimanche matin, alors que tout le monde dormait dans la maison, le téléphone sonna. Immédiatement – et comme depuis dix ans maintenant – une incontrôlable appréhension m'a saisi. Cette réaction n'a rien d'un mystère, bien au contraire. Cet anxiété soudaine n'est que le résultat d'un traumatisme passé où j'ai appris, par téléphone, le décès d'un proche. Ainsi, comme à l'accoutumée, j'ai immédiatement été inquiété par la sonnerie du téléphone. Qui était l'interlocuteur ? C'était madame M. Devions-nous nous inquiéter de cet appel matinal ? Non. La demande qu'elle formulait-là était simple. Je devrais même dire simplissime. Vous allez peut-être trouver cette requête risible mais madame M. appelait ce matin-là afin de rappeler à ma mère de lui acheter du pain de mie pour le lendemain. C'est tout. Nous aurions pu être contrariés par ce réveil brutal un dimanche matin pour une requête si futile mais ce ne fut pas le cas. Encore une fois, – et je suis toujours incapable d'expliquer pourquoi –, c'est un sentiment de sympathie et de joie qui se substitua à une potentielle colère. J'aime me souvenir de cette anecdote. Madame M. dégageait une aura. Vous trouverez ce mot peut-être un peu fort mais il ne l'est pas. Si je dois utiliser de tels mots pour vous faire comprendre à quel point cette dame était quelqu'un de bien, et bien je le ferai. J'ajouterais que, même à travers une banale liste de course, c'est toute une joie de vivre et une humanité débordante qui nous parvenait.

       Comment vous parler de cette femme ? J'aurais pu évoquer le cancer dont elle a été victime il y a quelque temps. J'aurais pu vous parler du traitement médical qu'on lui a infligé pour la soulager. J'aurais également pu vous décrire la façon dont elle a affronté la guérison. Puis la récidive... Mais non. Je préfère me souvenir de cette femme au courage qui inspire le respect. Je préfère me souvenir de cette femme qui chérissait ses plantes et son jardin. Je préfère me souvenir de cette femme joyeuse, heureuse et énergique.

       En août, mes parents partirent en vacances. Madame M. est ainsi restée chez elle. Seule. Son fils a alors insisté pour qu'elle vienne avec lui, en Suisse, pour un court séjour de trois jours. Malgré la chaleur de ces jours d'été et désirant passer du temps avec sa famille, elle décida de partir. Deux semaines plus tard, tout le monde est rentré chez soi. Et il faut avouer que c'est une personne affaibli que ma mère a trouvé en ce jour de rentrée. Nous sommes le 7 septembre. Cette anodine petite balade en Helvétie n'était de toute évidence pas si inoffensive que cela. Mis à part une petite douleur au dos qui nécessitait l'intervention régulière d'une infirmière, c'était cette fois une blessure à une jambe qui entravait ses mouvements. Un souvenir de la Suisse ? Cela aurait pu être pris de telle manière si la suite n'avait pas été ce qu'elle a été.

       La personne se chargeant du suivi médical de madame M. lui conseilla d'aller consulter un médecin parce « on ne peut quand même pas laisser ça comme ça. ». Et c'est ce que madame M. fît. Le petit hôpital de la ville l'accueilli pour soigner sa jambe et, par la même occasion, lui permettre de se reposer. Et ça a porté ses fruits ! En accord avec son fils, madame M. pris même la décision de laisser sa maison pour aller s'installer dans une maison de repos médicalisé afin de profiter de cet état de bien être retrouvé. Nous sommes le 11 septembre et tout va mieux.

       Cinq jours plus tard, nous sommes le 16 septembre et j'en profite pour vous poser une question : vous souvenez-vous de ce que vous faisiez ce jour-là ? Moi oui parce que le 16 septembre, madame M. est partie rejoindre son mari.

Madame M.Where stories live. Discover now