« Marie, tu dors ? »
C'était la dernière phrase que je lui prononçais. Je ne savais pas comment, ni pourquoi je me suis réveillé lorsqu'elle rendit son dernier soupir. C'était peut-être un signe, ou quelque chose du genre. Elle est morte dans son lit d'hôpital et pour moi c'était un retour à une vie adolescente où nos regards ne se seraient jamais croisés.
Je ne pouvais plus lui lâcher la main. Elle était si froide. Ses yeux étaient clos. Elle semblait désormais en paix, mais pas moi. J'agrippai les draps et les frappai avec fureur, aveuglé par un flot continuel de larmes me brouillant la vision. Je ne comprenais pas pourquoi cela devait m'arriver maintenant et pourquoi on n'avait pas retrouvé le type qui lui avait fait ça. La rage au ventre, la première personne qui allait rentrer dans la pièce, j'aurais pu lui faire la peau et la maudire pour ne pas avoir pu la sauver des griffes de la mort. Mais quand ils sont arrivés, je me suis assis en silence par terre, les mains posées sur les yeux.
Ils l'ont emmenée et il ne me restait plus rien. Son médecin entra dans la chambre pour me faire ses condoléances. Qu'est-ce qu'il y connaissait, lui, de la solitude avec ses discours préfabriqués d'étudiant fraichement diplômé après onze années d'études. Je suis sorti de la pièce avec une envie de meurtre. Aux portes de l'hôpital, j'ai allumé une cigarette et pourtant, j'avais arrêté de fumer depuis des années.
A son enterrement, ils étaient peu nombreux. Il y avait ses parents bien sûr, ainsi que quelques amis communs proches de notre couple. Entrant de cette petite église de village auvergnat, le père de Marie m'accueillit. C'était un homme d'affaire d'âge mûr qui ne m'appréciait pas, car en plus de lui avoir volé sa fille, je n'étais chrétien que les jours de Noël. Les seules fois ou je l'avais croisé, c'était lors des rares fêtes de famille organisées chez Marie et alors, on évitait toute conversation sous peine de désordre, car il ne croyait pas en mes projets d'écriture et de vie artistique. Je n'étais pas un assez bon parti à ses yeux. On s'est observé sans rien dire pendant quelques secondes qui semblèrent durer des heures. Lui qui était habituellement si dur avait des yeux exorbités d'amphibien. D'une voix chancelante, il brisa le silence.
« Edouard, je suis désolé. Marie t'aimais et c'est tout ce qui compte. Félicitations pour ton livre, je le lirai bientôt. C'est promis. »
Je lui ai serré la main sans rien dire puis je me suis assis seul sur un banc à côté du cercueil qui contenait un cadavre maquillé qui aurait pu être ma femme. Son père avait oublié de me souhaiter bon courage, et pourtant j'en avais besoin, mais il était pardonné. Après tout, mettre en terre son enfant est une chose qu'on n'a pas envie de vivre.
Ces événements ne sont faits que pour apaiser la peine des vivants, pas pour les morts. On n'a jamais envie d'oublier la personne chère à nos yeux, celle qui partageait notre vie et pourtant celle-ci ne sera plus jamais là. Le prêtre tendit la main vers moi. C'était mon tour de parole. J'étais incapable de prononcer le moindre mot concernant notre relation chaotique avec Marie, et puis, ça ne regardait personne alors j'ai improvisé un texte vantant ses mérites, sa force de caractère et son côté battant. Au fond de moi, je savais qu'elle n'était pas comme cela. Qu'elle était une femme tendre, un ange tombé du ciel, peut-être le seul être avec une âme pure sur cette pauvre planète. Marie était tout alors qu'elle n'était rien. Elle était ma seule attache à ce monde abject. C'était peut-être pour cela que l'on s'entendait si bien.
Je me souvenais maintenant des choses futiles comme ces petits moments passés ensemble et même de ces engueulades fréquentes qui se terminaient toujours par un plaisir éphémère que l'on appelle l'amour. Je me souvenais aussi de mon état de perdition alors qu'elle était toujours à mes côtés pour me pousser à avancer.
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Rébellion
General Fiction« Ils ne sont pas rares les jeunes auteurs comme vous. Toujours orgueilleux, incompris, le mal du siècle au cœur de leurs histoires. Alors si ce n'est pas le succès, qu'est-ce que vous recherchez ? - Ils ne sont peut-être pas rares, repris-je décont...