J'avais passé les derniers jours à sillonner les bars de la ville, cherchant des âmes charitables pour me réconforter un instant, retournant chaque soirs chez moi sans trop savoir comment. Je me suis réveillé avec une gueule de bois infernale, bien incapable de me souvenir de ce qu'il s'était passé entre le moment où je suis rentré et le moment où je me suis endormis sur le sol. Mon mal de tête ne se dissipait pas et pire, j'avais l'impression qu'on m'avait mis des lames de rasoir dans le crâne que l'on secouait sans cesse. Je m'assis péniblement sur le canapé du salon en essayant d'ouvrir les yeux.
Je tâtais la surface de la table à la recherche de mon aspirine. La pièce était sombre et sentait le renfermé car les persiennes n'avaient pas été ouvertes depuis un moment. On ne distinguait dans le noir que les ombres des déchets qui jonchaient le sol du salon : des emballages de nourritures surgelées, quelques bouteilles vides, des mégots de cigarettes et une vieille photo de Marie et moi dans un cadre fracturé, lors de notre dernier voyage au Maroc. Nous semblions heureux.
Après une trop longue recherche, je trouvai le tube à mes pieds, vociférant contre ces foutus cachets effervescents qui me forcèrent à me lever pour chercher un verre d'eau à la cuisine. Une fois celui-ci totalement dissout, je constatai avec horreur qu'il ne me restait plus qu'une heure pour me préparer avant l'interview. Je n'avais rien prévu, j'étais sale, puant, affamé et en plus, j'allais être en retard pour un direct programmé depuis des mois sur une chaîne nationale.
Après m'être préparé en vitesse, j'ai sauté dans ma voiture. Le studio se trouvait à une trentaine de minutes de mon appartement, j'étais encore saoul de la veille et le périphérique serait probablement embouteillé, en somme, une excellente journée. La route semblait longue et ce n'était pas Louis Armstrong qui pouvait me remonter le moral. Marie n'aurait pas aimé me voir dans cet état.
J'ai eu beaucoup de chance d'arriver à l'heure, malheureusement, tout le monde m'attendait déjà pour commencer et je n'ai même pas pu prendre le temps de me présenter qu'il fallait déjà aller au maquillage. On me briefa rapidement sur le contenu de l'émission pendant qu'une jeune femme s'amusait à faire ressortir ma blancheur naturelle et cacher mes cernes.
Le présentateur, Tom, une trentaine d'année, une barbe de trois jours bien taillée et un costume noir entra dans la pièce pour me rassurer. Il me serra la main, faussement enjoué de faire ma connaissance tout en me dévoilant son plus beau sourire de vipère.
« Pas trop stressé mon vieux ? Ça se voit que vous avez fait la fête hier, mais tout va bien se passer, on ne vous cuisinera pas trop. »
Je ne lui rendis qu'un sourire gêné. Il m'indiqua précisément l'heure à laquelle je devais me présenter dans la chambre d'exécution et me laissa seul dans une salle minuscule avec quelques meubles et une télévision qui diffusait l'émission en direct. Je n'avais droit qu'à trente minutes d'interview mais je pouvais rester jusqu'à la fin de l'émission à l'antenne si je le voulais afin de débattre et faire un peu de publicité gratuite.
Des assistants m'apportèrent à manger. J'étais affamé mais mon estomac semblait noué. Paraît-il que pour faire plaisir aux lions, on se devait d'être bien nourris, alors je me forçai à avaler quelques toasts et boire un peu de vin. Il était l'heure, j'étais épuisé et de fort mauvaise humeur. Ils m'accrochèrent violemment un micro au col de la chemise et me poussèrent vers le plateau dont les flashs lumineux m'éblouirent. C'était un véritable festival de lumières et de couleurs d'un mauvais goût à vomir.
Je ne comprenais rien de ce qu'il se disait avant mon arrivée, mais quand je pénétrai dans l'arène, le public me fit une ovation. Le plateau semblait plutôt petit par rapport à ce que l'on avait l'habitude de voir à la télévision les dimanches après-midi. En face de moi se trouvait une sorte de bureau design occupé par quatre personnes, dont Tom qui faisait face à un grand fauteuil inoccupé en cuir rouge. Les personnes présentes m'applaudirent lorsque je suis arrivé et quelques-unes se sont levées. Au fond de la pièce, des écrans géants diffusaient des photos de moi et de la couverture de mon livre, un homme seul marchant vers un horizon grisâtre. On a rarement la chance d'être télévisé devant des millions de personnes âgées alors pour l'occasion, j'avais revêtu mon plus beau et plus vieux costume bleu marine.
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Rébellion
General Fiction« Ils ne sont pas rares les jeunes auteurs comme vous. Toujours orgueilleux, incompris, le mal du siècle au cœur de leurs histoires. Alors si ce n'est pas le succès, qu'est-ce que vous recherchez ? - Ils ne sont peut-être pas rares, repris-je décont...