Ayez de la chance en arrivant à Bangkok. Celle de ne pas être livré à soi-même. N'y restez qu'une nuit, chez des expatriés présents depuis une décennie. Ils vivent dans un quartier paisible de la capitale, là où se situent toutes les ambassades et leurs ressortissants respectifs. Le quartier des étrangers, les falang en thaï, leur joli surnom. Mot fort utile, un des seul se démarquant d'un flot prolixe de termes obscurs, submergeant vos oreilles. Litanie commençant à l'instant où votre fessier se pose sur la banquette arrière d'un taxi. Le chauffeur, légèrement agressif et passablement agacé, assène un verbiage confus, bréviaire indispensable de l'anglais sauce siam. Vos oreilles, point habituées à cette langue inédite, s'y perdent. Il doit alors y voir l'occasion de profiter de votre personne, cachant malicieusement le compteur, pestant contre l'adresse qu'il sera difficile à atteindre, justifiant cette affirmation par la grandeur démesurée de Bangkok. Bangkok, big city, big city !
L'adresse aussi mystérieuse qu'elle apparaît à un novice, révèle en soi toute l'élégante subtilité du réseau viaire thaïlandais. La maison se situe dans une soi, désignant une rue perpendiculaire à l'artère principale. Derrière cet exotisme se cache une pluralité de réalités, de la ruelle paisible où le seul danger demeure l'absence de trottoir, comme dans le quartier de vos hôtes, jusqu'à la plus obscure venelle coupe-gorge de Chinatown. Un système en apparence logique, si l'on excepte la différenciation des soi par le seul numéro et non pas par leur nom, suscitant quelques confusions. Ignorez cette donnée charmante à l'époque, mais responsable de l'irritation du chauffeur. Sa conversation tient plus de l'ordre martial que des politesses mondaines. Appelle ton contact, tu descendras là, Bangkok grande ville, cette adresse n'existe pas. Soucieux et préoccupé, remarquez, dans la minuscule carte du guide de voyage, gracieusement offert avant le départ, la proximité entre l'ambassade française et l'emplacement supposé de la maison. Conciliant, faites lui savoir que si sa paresse venait à l'emporter sur son devoir, l'ambassade constituerait un point de chute acceptable.
Après tout, l'idyllique représentation du monde dans laquelle se prélasse votre cerveau, prévoit, outre l'ouverture au public de l'ambassade un samedi, l'existence d'un fichier recensant tous les expatriés et leur domicile ; et une empathie du personnel, prêt à se plier à votre requêtes – somme toute assez simple – où se trouve la maison de telle famille. Supposez qu'en dix ans de présence, des liens se sont créés, les occasions ayant du abonder.
Etrangement, le sens du devoir l'aura emporté, le chauffeur parvenant à trouver la bonne soi, se débarrassant par là de votre encombrante compagnie. Hésitez un moment quant à la direction à emprunter. La carte, tracée rigoureusement à main levé, fourni par vos hôtes indique le numéro 15/4. Dans la rue, calme et verte, le 15/3 se dresse à l'angle d'un chemin. Pénétrez-y, coude à gauche, puis le gardien de la résidence, s'ouvrant au 15/4. Passez le portail, allez vers le fond, où devrait se trouver la maison. Les hôtes ne sont pas encore là, en cette heure précédant de peu le déjeuner, seule la femme de ménage s'affaire à l'intérieur. Ne l'apercevez qu'après une timide ascension des trois marches marquant le seuil de la maison. Quelques magazines français posés là attirent l'œil, premier indice, confirmé par l'arrivée de la femme de ménage attendant votre arrivée. Posez votre sac à dos dans un coin, et invité par l'employé de maison, vos fesses sur la chaise la plus proche. Prenez alors conscience des dégâts de l'humidité ambiante sur vos vêtements. Trempés, bon à essorer.
Dès votre premier pas hors de l'aéroport, ayez ressenti cette chaleur, conférant une réalité aux termes abscons de « chaleur tropicale ». Une coulée de sueur permanente transformant instantanément tout habit en parent proche d'une serpillière. Heureusement, vos hôtes disposent d'un petit bassin au centre de leur maison. L'endroit est excessivement charmant.
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Le paradis perdu
Non-FictionDerrière le charme exotique de la Thaïlande se cache une réalité bien plus complexe et cruellement triste. Partez à la découverte de ce triste paradis contemporain, cet heureux enfer, à travers le quotidien inattendu d'un jeune voyageur, englué dan...