Rose Bucketter

271 12 3
                                    

Rose Bucketter, née dans un petit village du Yorkshire, était une jeune femme comme les autres. Rousse avec les yeux verts, frileuse, intelligente et, pour être honnête, plutôt peureuse. Elle avait néanmoins réussi à quitter son village natal, le même que les sœurs Brontë : Haworth. Bien qu’il ait changé depuis le XIXe siècle, Rose ne s’y était jamais amusée. Même les livres d’Anne, Charlotte et Emily ne lui avaient jamais apporté un grand soutien durant son adolescence.

Internet avait fini par arriver dans la lande et avec lui, l’envie de voyager de Rose. Elle pouvait maintenant y voir Londres, Paris, Sydney quand elle le désirait (sauf si son frère voulait l’ordinateur au même moment ou que quelqu’un allumait la télévision : la connexion était trop lente pour supporter deux choses à la fois). Le père de Rose était médecin et sa mère institutrice. Quand elle y pensait, Rose se disait qu’il n’y avait vraiment rien d’original dans sa vie, même pas ses parents. Ils s’étaient rencontrés de façon banale et refusait de divorcer même si les sentiments avaient disparu depuis de nombreuses années.

Avec Internet, elle avait aussi découvert le cinéma, le vrai et pas celui qui passait en boucle les mêmes films car il était trop pauvre pour en acheter d’autres.

En somme, pour Rose, Internet lui avait fait comprendre qu’il fallait qu’elle parte dès qu’elle en aurait l’occasion.

Elle avait désormais vingt-quatre ans et vivait dans une banlieue pauvre de Londres. Sa vie n’était pas plus heureuse ou mouvementée qu’à Haworth mais au moins, se disait-elle, elle avait réussi à partir. Ça avait été toute une histoire ! Le jour de sa majorité, elle l’avait annoncé. Sa mère s’était mise à pleurer et son père l’avait toisé de haut en bas.

- Et où crois-tu que tu iras ? lui avait-il demandé d’un air méprisant.

- À Londres.

- Et tu vivras de quoi ?

- J’ai trouvé un travail de serveuse. Je le ferai en attendant de trouver mieux.

- De trouver mieux ? Mais ma pauvre fille, tu ne trouveras pas mieux ! Serveuse, c’est tout ce que tu mérites, et encore. Tu es maladroite, ils te renverront au bout d’une semaine. Tu n’as pas de diplômes, aucune connaissance, tu ne sais rien faire, tu ne réfléchis pas. Jamais, crois-moi, jamais, tu n’auras mieux.

Il était sorti de la pièce sur ces mots-là, laissant Rose rouge de fureur. Sa mère était toujours agrippée à elle, la suppliant de rester.

- Pourquoi devrais-je rester ? Thomas est parti depuis plusieurs années et personne ne lui a rien dit ! Il n’est revenu qu’une seule fois à Noël, personne ne s’en est plaint ! Je devrais rester parce que je suis une fille ? Ou pour ne pas que vous vous retrouviez en tête à tête avec papa ?

- Chérie, avait commencé sa mère d’une voix tremblante, s’il te plaît… Ne pars pas… Tu peux continuer tes études ici… Tu vas rater ta vie, je ne veux pas… Thomas l’a déjà raté… S’il te plaît, je t’en prie… Réfléchis…

- C’est tout réfléchis. Mes valises sont prêtes, je prends demain matin le train. J’ai tout arrangé. Je ne resterai pas.

Elle s’était dégagée de l’emprise de sa mère, était monté dans sa chambre et avait claqué la porte derrière elle.

Elle repensait souvent à ce moment-là de sa vie. Malgré son ton décidé, elle avait hésité jusqu’à la dernière seconde. Sa mère était une personne chère à son cœur et la voir pleurer était insupportable. Aussi, elle avait décidé de ne plus la regarder jusqu’à son départ.

Personne ne l’avait accompagné à la gare, personne ne lui avait dit au revoir. Elle était juste partie sans faire de bruit.

Ça faisait maintenant un an qu’elle vivait à Londres, dans un studio miteux, et qu’elle occupait toujours le même poste de serveuse. Contrairement à ce que son père lui avait dit, on ne l’avait pas renvoyé au bout d’une semaine. Son patron trouvait qu’elle amenait de la bonne humeur au pub et que son accent était amusant.

Cependant, elle en était convaincue : rien d’intéressant ne lui arriverait un jour.

Rose BucketterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant