20 mars 2013 ~ 20 mars 1845

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20 mars 2013.

J’en ai marre de faire la fermeture, marre mais marre…, se mit à penser Rose.

Il était plus de minuit, elle était épuisée. Ses chevilles lui rentraient dans les genoux, elle avait mal à la tête, était en sueur et n’avait qu’une seule envie : rentrer chez elle pour dormir. Mais comme d’habitude, le patron lui avait demandé de fermer le pub avec Rory, le barman. Il ne semblait pas non plus enchanté à cette perspective mais ne se plaignait pas. Rose non plus d’ailleurs – se plaindre n’aurait servi à rien, son patron était déjà parti depuis longtemps.

Allez, dans une petite heure on ferme, une toute petite heure et je peux rentrer chez moi et dormir, dormir, dormir, dor…

- Bonsoir ! Vous servez encore ? demanda une voix féminine haut perchée.

- Oui ! répondit Rory.

Malheureusement oui, eut envie de corriger Rose mais elle se tut. Il ne fallait quand même pas qu’elle fasse perdre des clients, ce n’était pas son but.

- Que voulez-vous boire ? demanda-t-elle à la cliente, une fois celle-ci assise à une table.

- Oh euh… un diabolo fraise. Oui un diabolo sera parfait.

Quel drôle de choix ! Elle a l’air d’avoir au moins une trentaine d’années et elle demande un diabolo comme les petites filles ? Enfin il y a des gens étranges partout…

- Un diabolo fraise pour la dame là-bas Rory. Et ne met pas de carte avec ton numéro dessus !

- Rose, pour une fois, une seule et unique fois, tu pourrais me laisser faire ! Peut-être que cette femme est la femme de ma vie et que par ta faute, elle ne le sera jamais.

- Si elle est la femme de ta vie, vous vous reverrez ailleurs. Allez donne le diabolo !

Elle se mit à rire. Au moins, faire la fermeture avec Rory était amusant. Il fallait reconnaître que cette femme était belle et avait du charme. De taille et corpulence moyenne, des longs cheveux bruns, épais et les yeux couleur améthyste. Son visage dégageait un halo spécial qui la rendait sympathique au premier abord.

Rose lui apporta son verre et s’apprêtait à repartir quand la femme l’interpella :

- Vous êtes bien Rose Bucketter, n’est-ce pas ?

- Je, euh… Comment connaissez-vous mon nom ?

- Asseyez-vous.

Sans vraiment savoir pourquoi, Rose s’assis. À l’autre bout du pub elle vit Rory qui la regardait d’un air suspicieux : jamais elle n’avait discuté avec une cliente auparavant.

- C’est une très longue histoire, je n’ai pas le temps de vous la raconter maintenant. Mais nous allons nous revoir et à ce moment-là je le ferai, je vous le promets.

- Qui êtes-vous ? interrogea Rose.

- J’en oublie mes manières ! Je m’appelle Emily, Emily Blackson. Je sais que ce que je viens de vous dire doit vous paraître vraiment étrange mais il faut que vous sachiez que je ne suis pas folle et qu’en aucun cas je ne vous veux du mal. Je m’apprête à vous dire des choses encore plus étranges et j’aimerais vraiment que vous me croyiez, juste pour que ce soit simple.

« Je ne travaille pour personne et si je suis dans ce pub précisément, ce soir précisément, c’est pour vous parler. Rien d’autre. Rose, vous êtes quelqu’un d’important. De très important. »

- D’important ? Que voulez-vous dire ?

- Je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant mais croyez-moi, je le voudrais. Ce serait beaucoup plus simple pour vous de me croire. Vous allez faire un long et difficile voyage. J’aimerais vous y accompagner mais je n’ai pas le droit. Je serai là de temps en temps mais rien de plus. Toutefois, je suis certaine que vous réussirez et que tout se passera bien. Vous êtes quelqu’un d’intelligent Rose.

- Attendez, je ne comprends pas ! Que me voulez-vous ?

- Je suis désolée de ce que je vais faire… Mais je dois le faire.

À ces mots, Emily toucha le bras de Rose.

20 mars 1845.

Rose ouvrit ses yeux et les referma aussitôt. La lumière du jour était trop blanche, trop douloureuse pour l’œil humain. Où était-elle ? Elle ne se souvenait de rien, si ce n’est de Rory lui donnant un verre… Elle ouvrit ses yeux pour la seconde fois et les garda ouvert.

Je suis officiellement devenue dingue.

Tout autour d’elle, la lande. La lande, la lande, la lande. Verte, froide. Il ne pleuvait pas mais presque. Le vent était glacial. Et bien évidemment, Rose portait encore sa tenue de serveuse. Elle tourna plusieurs fois sur elle-même mais n’aperçut jamais une seule habitation.

Je suis dingue et seule au milieu de nulle part. J’étais à Londres. J’étais à Londres ! Comme se fait-il que je sois ici, peu importe l’endroit ? J’étais à Londres et il faisait nuit ! J’allais rentrer chez moi. Je parlais. Oui je parlais avec une femme étrange ! Comme s’appelle-t-elle ? Emily… Emily quelque chose. Je discutais avec elle et maintenant je suis ici. Comment ?

Aucune réponse ne vint.

Rose se mit à marcher, sans savoir où elle allait mais tout valait mieux que de rester au milieu de nulle part. Il n’y avait à l’horizon toujours aucun signe de civilisation, pas de maisons, pas de fumée sortant d’une cheminée, même pas de câble électrique ! Rien.

Une heure passa et Rose s’arrêta. Elle avait beau avoir marché, le paysage lui semblait être identique et pourtant, elle ne pouvait se résigner à abandonner. Il y avait forcément quelque chose dans les environs ! Il n’existait plus au XXIe siècle des lieux où l’Homme n’avait pas posé ses valises !

Aussi, elle repartit. La nuit commençait à tomber mais toujours aucune goutte de pluie. C’est déjà mieux que rien, se dit-elle.

Finalement, au bout de quelques heures, des ombres ressemblant à des maisons apparurent devant Rose. Elle croyait à un mirage mais non, tout était parfaitement réel. Réel et certaines choses lui semblaient familières, comme si elle avait déjà été là auparavant.

Elle continua à avancer sur quelques mètres et tomba sur un panneau. « Haworth ».

Rose BucketterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant