Chapitre II

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Par chance il arriva à la nuit tombée devant les murs de la cité de Mazartag. En réalité il se cogna littéralement la tête sur la roche des remparts et jura comme un charretier. Mais le calme qui régnait dans la plaine était bien étrange et ne présageait rien de bon. On aurait dû le voir depuis les murailles, l'avertir voire l'arrêter et pourtant il n'entendait aucun son venant de la cité. Il tâtonna le mur jusqu'à arriver à la porte principale, butant sur des débris jonchant le sol. Il se baissa et en saisit quelques-uns. Au toucher il reconnut le fer d'une herse, quelle que soit la ville où il se trouvait, elle avait été attaquée et était déserte du moins en apparence. Sur son passage il poussa des épées et lances fracassées, trébuchant sur les boucliers fendus alors qu'il entendait les derniers crépitements des braises dans les maisons tout autour de lui. Il était alors aisé de deviner que la cité n'était plus que ruines. Mais quelle force pouvait être à l'origine d'une telle destruction, car les barons, même s'ils se faisaient régulièrement la guerre, ne détruisaient jamais complètement leur prise. Ils venaient conquérir et non anéantir. La nuit tombait et la fraicheur s'installant avec elle, Olivier ne pouvait se faire à l'idée que la ville était totalement déserte et qu'aucun de ses assaillants ne soit encore entre ces murs. Il entra difficilement dans les ruines d'une maison et se cacha dans un recoin, se couvrant de couvertures. Heureusement pour lui la nuit ne serait pas aussi glaciale que de coutume, car à ses côtés se trouvaient les restes d'un brasier dont émanait encore de la chaleur.
Soudain un bruit se fit entendre à côté de lui, il prit son bâton en main, mais sentit immédiatement une pointe en acier lui toucher le coup.
« Bougez et ma flèche vous transperce la gorge. » fit une voix
« J'ignore qui vous êtes l'ami, mais je ne suis qu'un voyageur qui ne sait visiblement dans quel pétrin il s'est aventuré »
« Difficile à croire que l'on se perdre jusqu'à Mazartag en ces temps-­ci »
« Je viens du nord. J'ai voyagé de Luntal jusqu'ici et que le voyage fut assez rude pour un boiteux aveugle tel que moi. Néanmoins vous m'apprenez quelque chose, j'ignorais que j'étais arrivé jusqu'à Mazartag. Je pensais être à Tongguzbasti. »
« Vous êtes encore bien loin de cette cité. Vous vous dîtes aveugle, savez au moins ce qui vous entoure ? »
« J'ai la nette impression qu'une catastrophe a eu lieu dans cette cité, mais le calme a l'air d'être revenu »
La pointe d'acier se détacha de sa gorge et l'homme qui lui parlait lui prit la main et la lui serra, se rendant compte que ce compagnon d'infortune n'était pas une menace.
« Je m'appelle Sieg, a qui ai-­je l'honneur ? »
« Je me nomme Olivier. Mais s'est-il passé ici ? » Lui demanda-t-il.
« Je suis arrivé dans la cité il y a quelques jours pour affaires. Je suis, voyons voir, l'homme à tout faire tant qu'on y met le prix. Ce que je n'avais pas prévu en revanche c'est qu'une armée de Nelphas surgisse de nulle part, prenne d'assaut les remparts et détruise entièrement la cité tuant tout sur son passage. »
« Des Nelphas ? Ces démons dont parlent les légendes ? »
« Ils sont tous ce qu'il y a de plus réel. Grand et fort comme un bœuf du torse à la tête en passant par leur long coup, mais plus frêle sur leurs jambes. Un cauchemar, il y en avait des milliers. Nous résistâmes un moment, vaillamment, mais nous finîmes encerclés puis acculés jusqu'au donjon ou tous rendirent l'âme. Je n'ai pas vu de civils quitter la cité, les Nelphas ont emporté tous les survivants loin vers le sud et les montagnes, mais il en reste encore dans la cité qui patrouille. Je me cache depuis un jour en attendant qu'ils partent, mais ils ne semblent pas vouloir lever le camp. Leur chef est toujours ici avec des prisonniers. »
« Comment quitter la cité alors ? »
« Pour vous je n'en sais rien moi j'irais a pied jusqu'à Tongguzbasti »
Olivier voyant qu'il avait affaire avec un mercenaire marchanda son aide :
« Vous ne tiendrez pas deux jours dans le désert sans eau ni vivre, sans compter les bêtes féroces. Je peux vous aider à vous en sortir si vous me guidez hors de la ville ».
« Et pourquoi ferais-­je cela ? Je ne suis pas exactement du genre gentilhomme, vous savez ».
« Parce qu'un mage vous sera bien utile. »
« Voyez-­vous cela ! Un mage. Qui me dit que vous ne mentez pas ? »
« Donnez-­moi votre gourde »
Sieg s'exécuta et la lui donna. Elle était presque vide et Olivier la remplit d'eau de trois signes de main. Ce fut assez pour convaincre le mercenaire de ce qu'il était.
« Bien je vous aiderai donc. Mais pour sortir, il va nous falloir d'abord libérer les prisonniers qui se trouvent dans le donjon ».
« Pourquoi vous en souciez-­vous donc ? »
« Parce que si les Nelphas les ont gardés en vie c'est qu'ils sont sûrement de bonne famille des fils de barons qui sait, ou des nobles impériaux. Que sais-­je ? Nous avons tout à gagner en les libérant ».
« Vous aimez l'or à ce que je vois »
« Il faut bien vivre et je compte bien tirer profit de toute occasion pour m'assurer mes vieux jours »
« Parfait, mais pour l'heure il faut dormir. »
« Dormir ? Alors que les Nelphas patrouillent dans la ville. Vous avez eu une chance incroyable de ne pas les croiser. Ils sont dans les quartiers est, mais ils vont revenir ici sous peu il faut nous cacher mieux que cela. »
« Patience »
Le sol était couvert de cendres. Sur ces dernières, Olivier traça les signes du gémeau et du taureau, même aveugle il connaissait de mémoire tous les signes et symboles du grimoire, puis prononçant ensuite les mots :
« Mirage de cendres ».
« Qu'est-­ce donc que ce sortilège », demanda Sieg qui ne remarquait rien.
« Quiconque passera devant cette masure croira voir un tas de cendres fumantes et ne s'approchera pas. Nous sommes saufs pour la nuit. Moi je m'en vais dormir dans ce recoin, faites comme bon vous semble. »
Sieg ne se fit pas prier, il était lui aussi épuisé par cette longue traque à laquelle il échappait et s'endormit très vite adossé au mur porteur. Il garda ses mains sur son arc lorsque les Nelphas passèrent juste à côté de leur bâtisse. L'un d'entre eux jeta un rapide coup d'œil à l'intérieur, mais ne voyant rien ils repartirent de plus belle et Sieg put s'endormir l'esprit apaisé.
Au matin ils partirent vers le donjon, Olivier dont les sens s'étaient améliorés de façon considérable depuis son infirmité suivait Sieg au bruit de ses pas. Ce dernier, l'arc bandé marchait en avant prêt à tirer sur le moindre Nelphas qui surgirait. Ils passèrent les remparts à moitié détruits du donjon et arrivèrent face à ce dernier étrangement vide. Sieg pressentait un piège et il eut raison, car soudainement la porte de fer du donjon s'ouvrit laissant apparaître un grand chevalier vêtu d'une lourde armure en fer grisâtre armé d'une robuste masse et de tous côtés surgirent des Nelphas.
« Vous voici donc, les fugitifs qui hantent la cité depuis quelques jours. Mes créatures vous sentent, mais ne parvenaient pas à dénicher votre repaire. Je savais qu'un mercenaire comme toi Sieg reviendrait ici pour les prisonniers. Un tel comportement est si prévisible chez les rebus de ton espèce. Mais quel est donc l'estropié qui t'accompagne ? Est-­ce donc tout ce que tu as pu trouver comme renfort pour ta dernière bataille ? » Railla le chevalier.
« Un simple voyageur »
« Ton voyage s'achève donc ici. Tuez-­les » ordonna le chevalier. Mais dans la nuit qui avait précédé l'affrontement, Olivier par précaution avait tracé avec son propre sang, s'entaillant le doigt, des signes magiques sur un bout de parchemin qu'il conservait dans son grand sac.
« Naissance des Oasis, que leurs défenseurs se soulèvent et combattent mes ennemies », prononçâ­t-­il.
Le parchemin se consuma entièrement dans un bref tourbillon de flammes ne laissant qu'une fumée blanche qui s'envola dans les airs. Le sol se mit alors à trembler et partout dans la cité de grands baobabs sortirent sur sol, l'eau jaillit perçant les chemins, les routes et les maisons. Ce qui restait de l'armée Nelphas qui était encore dans la cité se retrouva empêtré dans cette jungle. Certains furent emportés par les eaux et se noyèrent. De cette même eau sortirent des soldats de glace armés de solide bouclier et d'épées qui étincelaient à la lumière du soleil. Les arbres se muèrent en géant de bois, serrant leurs poings et frappant les Nelphas de toutes leurs forces. Bientôt la bataille fit rage dans toute la ville.
Le chevalier gris en fut plus que surpris de voir un tel déploiement de force.
« Un simple voyageur n'est-­ce pas ? » dit-­il en s'adressant à Olivier sur un ton de défi.
« J'ai peut-être omis le fait que je sois un mage » un rictus de défi sur les lèvres, certain de ses récentes capacités.
« Impressionnant. Bien peu de mages dans ce monde sont capables de tels sortilèges. Moi qui pensais m'ennuyer dans une vulgaire passe d'armes avec Sieg. Voilà que je trouve un adversaire à ma hauteur. Nelphas, tuez l'archer, je m'occupe du mage » ordonna­-t-­il a ses troupes qui s'exécuta immédiatement.
Il se précipita l'arme à la main se lançant sur Olivier qui ne bougeait pas d'un pouce. Il para avec son bâton, sous l'impact des deux armes le sol se craquela et une violente onde de choc se dégagea balayant quelques Nelphas qui tentaient d'approcher Olivier par derrière.
« Un simple bâton capable d'arrêter ma propre masse, de plus en plus intéressant ! » s'exclamait le guerrier.
Mais il était bien meilleur au combat que ne l'étais Olivier, d'un coup rapide il désarma Olivier et lui frappa son genou blessé d'un coup de pied ayant vite remarqué qu'il boitait de ce côté-ci. Olivier poussa un grognement de douleur et tomba à genoux sur le sol.
Son adversaire leva sa lourde masse pour l'achever. Olivier eut tout juste le temps de prononcer :
« Tombeau ».
Une crevasse s'ouvrit avalant le chevalier gris qui tomba dans les profondeurs des catacombes de la ville non sans hurler de rage. De son côté Sieg faisait des merveilles avec son arc, lançant des flèches enflammées, glacées et même plusieurs en même temps pourfendant en quelques minutes tous les Nelphas qui lui faisaient face tandis qu'au même moment, Olivier fit tomber le chevalier dans sa crevasse. Il se précipita alors dans la forteresse pour aller trouver les prisonniers, mais elles avaient été plus rapides que lui et sortirent avant qu'il eût fait un pas dans leur direction. Deux femmes émergèrent du sombre donjon. Elles s'empressèrent de quitter la ville sans même prendre attention au combat en cours ni aux combattants. L'une d'elles portait une armure ébréchée, couverte du sang noir des Nelphas qui les gardaient et dont elle avait brisé les crânes à mains nues. Les cheveux blonds, l'œil vif c'était une guerrière qui n'en était pas moins charmante, de visage comme de corps. Mais Sieg demeura subjugué par la beauté de sa camarade, habillée en paysanne, de longs cheveux rouges, des yeux marron et une silhouette aussi élégante que généreuse lui donnait l'air d'un ange tombé des cieux. Il en resta si surpris qu'il ne vit pas les Nelphas qui se précipitaient sur lui. Olivier, entendant leurs pas et sentant le danger, le sauva en crachant un flot de feu sur ces derniers, les réduisant en cendres.
Pour s'échapper du piège de la cité, Olivier leva une colonne d'air qui les souleva lui et Sieg haut dans les airs puis les déposa sur une dune à proximité de la cité. Olivier avait la jambe brisée par le coup de son adversaire et poussait des râles de douleur. Sieg lui banda la jambe du mieux qu'il put et la lui bloqua en l'attachant solidement. Olivier ne pouvait alors avancer que très lentement.
Ils parcourent quelques kilomètres avant que la nuit ne les rattrape et que la fatigue ne les oblige à se reposer. Sieg avait grommelé une bonne partie du trajet sur le fait qu'ils avaient perdu les traces des deux prisonnières et avec elles toute chance de prime ou de récompenses. Olivier lui estimait qu'être en vie était déjà en soit un exploit.
Cependant ils ne tardèrent pas à les voir réapparaître. En effet alors que Sieg se réchauffait auprès du feu elles descendirent de la dune voisine. Elles les avaient suivis depuis leur départ de la cité, surprise de voir de manière ils étaient parvenus à échapper aux Nelphas.
Elles se présentèrent. La plus âgée Anélia, caparaçonnée dans son armure, était une ancienne championne du tournoi impérial, guerroyant dans les montagnes à l'extrême sud de Tarim, elle avait été capturée par le chevalier gris lors d'une bataille. Ce dernier s'appelait en réalité Ternk et était l'un des lieutenants du mage noir Merlakas qui affrontait l'empire depuis des générations, connu pour être l'ennemi de tous les hommes et toutes les races, rois et reines s'étaient acharnés à tenter de le vaincre sans y parvenir et le conflit s'éternisait depuis lors. Nul ne savait ni ou ni véritablement quand il était apparu, mais une chose était certaine, ses forteresses établies dans les montagnes étaient imprenables, sous ses ordres les pires créatures se réunissaient et les plus terribles mages le craignaient et le servaient. Sieg et Olivier trouvèrent étrange que des Nelphas emmènent leurs prisonniers aussi loin au nord, mais restèrent silencieux. L'autre demoiselle se nommait Ophélie, une paysanne qui avait été capturée lors de l'assaut de la cité du moins c'est ce qu'elles prétendirent, mais ni Sieg ni Olivier n'en crurent un mot sentant que cette la jeune femme était bien plus. Il était évident à leurs yeux qu'Anélia la protégeait et que sous ce piètre déguisement se cachait un personnage bien plus important. Mais dans la situation actuelle, ils n'avaient guère le temps de s'attarder sur ces détails. Ils se présentèrent à leur tour et décidèrent qu'ayant tous survécu à la même calamité ils se rendraient à la ville la plus proche ensemble. Le temps jouait en leur défaveur et dès le lendemain matin, avant même que l'aube ne soit levée, ils étaient déjà en marche. Olivier peinait derrière eux boitant sérieusement, mais réprimant tout autre signe de son tourment, n'ayant aucunement l'intention d'attirer la pitié de ses camarades, chose qu'il avait en horreur depuis sa blessure reçue contre Roland. Il avait encore à l'esprit les regards des villageois le prenant en peine et loin de l'apaiser il ne voyait en leurs yeux qu'un rappel humiliant de sa situation. Malgré cela ils avançaient aussi rapidement que possible, sachant que Ternk se lancerait à leurs trousses dès qu'il serait sorti des catacombes ou Olivier l'avait précipité.
Sieg quant à lui ne cessait de parler, sans remarquer que son débit de parole exaspérait profondément ses deux compagnons de voyage, mais il voyait dans le secret de l'identité d'Ophélie une opportunité dont il pourrait tirer quelque profit.
« Et/ou irez-­vous après avoir rejoint Tongguzbasti ? »
« Vers l'empire et la sécurité, loin de ces contrées. » répondit Anélia
« Vous dîtes que vous étiez championne de l'empire. Comment un champion d'un tel tournoi peut-­il se retrouver dans pareille situation ? » Continua inlassablement Sieg alors qu'Anélia montrait pourtant des signes clairs indiquant qu'elle eût préféré éviter le sujet.
« Il ne faut pas croire ce qu'on raconte sur ce titre. Oh, bien sûr j'ai eu pour un temps tous les honneurs que j'ai désirés. On m'a couverte d'or, de l'or qui m'attend toujours à Delhi. Mais dès que le peuple vous a oublié et attend avec impatience la tenue du prochain tournoi, on vous envoie en première ligne sur le front des montagnes pour combattre les légions de Nelphas. Ce tournoi n'est rien de plus qu'une mascarade pour recruter les meilleurs soldats des différentes contrées impériales. »
« Je n'ai jamais eu la chance d'assister à ce tournoi. À quelles épreuves les champions sont-ils soumis ? » Demanda Sieg alors qu'Anélia abandonnait l'idée qu'il se taise un jour.
La première épreuve consiste à s'échapper d'une grotte immense ou pièges mortels et créatures souterraines, féroces et mortelles, vous attendent. Mais si les responsables affirment que tous ceux n'ayant pas réussi à sortir à temps de ces tunnels ont péri, la vérité est toute autre. Ces hommes je les ai retrouvés dans les rangs des armées impériales combattant dans les montagnes au sud, kidnappés et emmenés contre leur gré dans ces régions hostiles pour contenir l'avance des démons. La situation empire de jour en jour, car l'empereur n'a toujours pas officiellement déclenché une véritable guerre contre les forces de Merlakas et préfère ce petit stratagème pour protéger la seule route qui relie Tarim au reste de l'empire. Mais notre ennemi se renforce chaque jour et bientôt la route sera coupée et si les puissants de l'empire ne décident pas de la reprendre, Tarim sera abandonnée à son sort. C'est pourquoi nous devons rentrer au plus vite. » Lui répondit de nouveau Anélia.
« Et vous jeune demoiselle ? Que prévoyez-­vous de faire ? » Demanda-­t-­il à Ophélie qui regardait en arrière pour surveiller Olivier pour qui elle avait une étrange attention.
« Je ne suis qu'une humble paysanne à qui Anélia a sauvé la vie et je la suivrais dans l'empire n'ayant plus rien qui me retienne dans ces régions. J'espère trouver une meilleure situation que celle que j'occupais avant. Une fermière n'est pas bien considérée dans notre société. »
Sieg reconnut, là encore, le mensonge, aucune fermière n'aurait des mains si parfaitement lisse et blanche. Le rude travail des champs lui aurait laissé des traces physiques significatives. Elle était certainement la fille d'un noble assez riche pour payer une mercenaire comme Anélia, ne trouvant pas d'autre explication logique pour expliquer sa présence et son intérêt pour la jeune femme, afin de lui ramener son enfant. De leur capture à Tongguzbasti Sieg imaginait un tout autre scénario, qu'Ophélie, elle, eût été capturée à un moment ou autre c'était évident, mais Anélia était venu de son propre chef pour la délivrer et avait échoué face à Ternk. Ophélie devait valoir son pesant d'or et dans son esprit avare, il échafaudait déjà des plans pour rester avec elles et tirer profit de l'aide apportée.
Olivier n'avait rien perdu de la conversation, si ses jambes étaient meurtries son ouïe ne l'était pas et cela lui causa une grande tristesse de savoir que son rêve d'enfance n'était que supercherie, de plus il s'inquiétait grandement pour Roland qui lui avait dû être pris dans cet engrenage. Il espérait qu'il s'en tirerait mieux que lui, mais de toute évidence il ne pouvait lui venir en aide.
Soudain, derrière eux, ils aperçurent de sombres et imposantes silhouettes, les Nelphas et Ternk les suivaient triplant d'ardeur pour les rattraper, car craignant les foudres de leur maître.
« Nous avançons trop lentement », grimaça Sieg.
« Oui, à ce rythme ils nous auront rattrapés à la tombée de la nuit et ils sont sûrement bien plus nombreux que lors de l'assaut précédent. Olivier, qui les avait rejoints, prit la parole.
« Je suis peut-être lent et Sieg me ligoterait volontiers à un arbre s'il en trouvait un pour s'échapper, mais je n'en suis pas moins inutile. Ils ne nous trouveront pas cette nuit croyez-­moi ».
Et de sa main gauche, il commença à tracer des signes magiques. Le chaos ne l'avait pas choisi par hasard, le jeune homme était très talentueux pour avoir appris si vite à tracer les signes sans aucun repère. Il dessina dans les airs les signes du cancer et du Verseau. On eût dit qu'il formait des nuages bleus qui sortaient de ses doigts pour se figer un moment et disparaître lorsqu'il prononçait le sortilège.
« Illusions du désert », dit-­il.
« Avec ceci, ils penseront nous poursuivre vers la cité de Tongguzbasti sans se rendre compte qu'ils font en fait demi-­tour vers Mazartag. Ils verront des traces de pas et même nos silhouettes sans jamais nous rattraper. Bien entendu ce sortilège ne va pas durer éternellement, mais ils nous donneront une bonne longueur d'avance sur nos poursuivants. »
« Impressionnant » murmura Ophélie les yeux pétillants.
« Bien alors en route, il ne nous faut pas perdre de temps » répliqua Anélia tandis que Sieg reprochait à Olivier de le présenter comme un personnage ayant si peu de cœur.
Leurs chamailleries amusèrent leurs deux compagnes de voyage qui voyaient dans leurs différences une complicité naissante et une amitié qu'aucun des deux n'aurait pour le moment avouée.
Ils marchèrent toute la journée durant, sans s'arrêter, et ce en grâce à Olivier qui lança un sortilège rafraichissant leurs corps et les protégeant du soleil brûlant, leur permettant de gravir sans peine les dunes et narguer l'astre lumineux. À la nuit tombée il fit pousser une oasis éloignant les bêtes féroces qui venaient de les prendre en chasse. Pour tous, il s'agissait là d'un bon signe, car ils sortaient de la partie du désert la plus chaude en rencontrant de nouveau hyènes et lions du désert.
Olivier peinait à recouvrer ses forces, car même dans son sommeil, l'apprentissage de nouveau sortilège ne s'arrêtait point et l'empêchait d'avoir un repos digne de ce nom. Il était épuisé, éreinté sur tous les plans et commençait à regretter de s'être lancé dans cette aventure. Pourquoi n'avait-­il pas lancé ce sort à l'abri dans sa ferme avant d'entreprendre pareil voyage ? Ah ! Quel impatient il avait été de se lancer sur les routes ainsi ! Son seul réconfort fut d'avoir fait la connaissance de ses personnes avec qui il voyageait. L'avenir ne lui réservait peut­-être pas que de mauvaises surprises.
Pendant que les prédateurs se ruaient sur les poissons de l'oasis, sous l'œil vigilant d'Anélia et de Sieg, la main à son arc au cas où l'un d'entre eux eût voulu goûter une autre chair, Ophélie observait toujours Olivier. En vérité, elle était mage elle aussi, mais moins aguerrie que son camarade et elle trépignait d'impatience de savoir quelle magie il maîtrisait. Jamais elle n'avait vu ce dont il faisait usage. Elle lui demanderait bien de lui enseigner cette étrange méthode lui permettant si facilement de lancer des sortilèges, mais c'était mettre en péril sa véritable identité et elle ne pouvait se le permettre. Elle devait donc rester au loin et regarder, peut-­être trouverait-­elle par elle-­même le moyen de percer ses secrets. Au matin ils reprirent la route, toujours plus vers l'ouest.
Olivier avait de la fièvre, toussant et crachant ses poumons dans ses mains. Sa force déclinait et sa magie également. Ses illusions semblaient avoir fonctionné, car il n'y avait plus aucune trace de Nelphas à l'horizon. Sieg s'arrêta et fit demi-­tour pour lui porter secours, lui épongeant le front avec un vieux bout de tissu gorgé d'eau tiède. Il lui saisit le bras gauche et lui servit de pivot afin qu'il puisse continuer de marcher. Ils n'étaient plus qu'à une journée de marche de Tongguzbasti quand Sieg s'effondra de fatigue alors qu'au loin Ternk venait de refaire surface, ayant déjoué le sortilège et revenant à la charge, portée par les vents de la vengeance.
Olivier prit alors la parole, la voix éraillée et le souffle court :
« Allez, marchez aussi vite que vous pourrez vers la cité. Je ne fais que vous ralentir. Laissez-­moi à l'ombre d'une dune je saurais survivre ici » dit-­il
« Pas question de vous laisser ici, nous sommes tout proche de la ville. Ils abandonneront la poursuite dès qu'ils en apercevront les remparts. Il vous faut tenir encore un peu plus longtemps », lui rétorqua Ophélie approuvée par Anélia.
« Mes forces m'abandonnent peu à peu, je ne peux aller plus loin. Je vais retarder Ternk et ses sbires. Il vous appartiendra de revenir me chercher avec des renforts lorsque vous aurez atteint la cité ».
« Pas question » ne répondit en cœur Anélia et Ophélie.
« Il a raison c'est la meilleure solution pour vous de survivre. Les Nelphas seront sur nous bien avant que nous ayons dépassé les dernières dunes et nous ne pourrons défendre Olivier si ce dernier perd connaissance en pleine bataille » dit Sieg
« Ah ! Je reconnais là le mercenaire ! Vous l'abandonneriez à son sort » s'emporta Ophélie, mais Sieg lui adressa un regard glacial ne laissant aucun doute sur ses intentions.
« Qui a dit qu'il resterait ici seul ? » Hurla-t-il.
« Allez-­vous-­en toutes les deux et assurez-vous de revenir avec suffisamment d'hommes pour nous sortir de ce pétrin. Quant à moi je reste avec lui. Nous nous chargerons de Ternk ou au moins de le retenir. »
Après maintes disputes, elles cédèrent et partirent à toute allure vers la cité laissant Sieg et Olivier seuls dans le désert ou la nuit tombait. Sieg ne dit pas un mot sur son geste et Olivier garda également le silence. Au-delà du courage et de la générosité dont faisait preuve Sieg, les deux hommes savaient qu'ils n'avaient que très peu de chance de survivre. Les remerciements attendraient qu'ils soient tirés d'affaire. Il ne faudrait à Ternk que quelques heures pour les rejoindre. Olivier puisa dans ses maigres ressources pour faire surgir une oasis. Sieg lui coupa quelques branches de baobab et se confectionna de nouvelles flèches en attendant que les Nelphas arrivent.
« Il nous faut une meilleure protection que celle offerte par le désert. Les obliger à passer par le chemin que nous voulons avant d'être débordés » s'adressa Sieg à Olivier.
Il érigea alors tout autour de l'oasis un grand mur de sable de dix mètres de hauteur, solide comme du roc. Seul un pan du mur resta ouvert pour qu'ils s'engouffrent dans l'oasis. L'eau ne fut point remplie de poisson, mais de grands crocodiles aux crocs acérés qui s'en prendraient à quiconque oserait pénétrer dans leur nouveau territoire.
« Voilà qui devrait faire l'affaire », répondit Olivier à bout de souffle.
Sieg voyant qu'il ne pouvait faire plus se prépara au combat. Il n'était pas certain de pouvoir battre Ternk et une horde de Nelphas à lui seul. Il tiendrait sans peine les démons à respect, mais l'élimination du chevalier reviendrait à Olivier, car de toute évidence Ternk lancerait ses Nelphas à l'assaut, mais il chercherait sitôt le combat entamé à affronter celui qui l'avait humilié une première fois. Sa tâche consistait à éliminer tous les Nelphas avant de pouvoir porter secours à Olivier si ce dernier était trop faible pour combattre. Leur situation était peu enviable. Olivier se couvrit de couvertures alors que le froid se faisait de plus en plus sentir tandis que la nuit envahissait le désert. Quelque temps plus tard, Les Nelphas étaient là, on pouvait entendre leurs grognements tandis qu'ils faisaient le tour de l'oasis. La nuit jouait en la faveur de Sieg, excellent tireur quel que soit le temps, il avait la lune comme alliée et ne manquerait pas ses cibles.
Puis retentit l'ordre d'assaut et les Nelphas se ruèrent dans la brèche, accueillit par les traits de Sieg, ils reculèrent devant cet ennemi invisible qui les frappait dans l'obscurité. Ils se ruèrent dans l'oasis, derrière chaque buisson, chaque arbre, ils fouillèrent pour trouver l'archer insaisissable qui fauchait de plus en plus d'entre eux. Des flèches enflammées jaillirent de toute part mettant le feu aux fougères. Les Nelphas reculèrent de nouveau vers le point d'eau. Dès que le premier eu posé le pied sur la rive les énormes reptiles sortirent furieux de l'eau et emportèrent leurs proies au fond de l'étang. La première vague anéantie, les Nelphas s'enfuirent. Mais Ternk avait pris soin d'emmener un grand nombre de ces créatures. Une centaine de ses monstres étaient encore frais pour le combat et il mena lui-même la seconde charge.
Ces coups de massue fracassaient les arbres et Sieg avait bien du mal à retenir le flot de Nelphas qui s'écoulait dans l'oasis. Bientôt il fut à découvert et laissa son arc pour ses deux fines lames tranchantes poussant le plus d'ennemis possible vers le point d'eau tandis que Ternk le délaissait pour partir à la recherche de son ennemi.
Sieg reculait, acculé sur le mur, il faisait face à des dizaines d'adversaires enjambant les corps de leurs défunts pairs. Sieg parvint à se dégager et se fraya un chemin sanglant vers l'étang central ou il s'engouffra, immédiatement poursuivi par les démons. L'odeur du sang attira les crocodiles hors de l'eau qui se précipitèrent sur toute cible à leur portée. Leur peau épaisse et leurs mâchoires implacables écrasèrent les membres des Nelphas. Leurs armes, massues ou épées rebondissaient sur les écailles des monstres qui obligèrent les démons à se regrouper à l'entrée de l'oasis. Sieg luttait aux côtés de ces monstres reptiliens non sans jeter un coup d'œil inquiet à chaque fois qu'il en croisait un dans la bataille, de peur d'être lui aussi englouti par ces derniers. Ternk avait repéré Olivier et se dirigeait droit sur lui. Il arriva devant le mage trop faible pour lutter.
« Ah quelle pitié, tu n'as plus la force de te battre. Voilà ce qui arrive quand on défie plus fort que suis même. Ta petite ruse t'a permis de te tirer d'affaire une fois, mais cette fois-­ci tu es à ma merci et tu ne m'échapperas pas. Il est dommage toutefois de t'achever dans ces conditions, j'aurais apprécié un combat plus équitable. » Dis Ternk.
Olivier saisit son bâton et le lança sur son ennemi qui le balaya d'un revers de la main le faisait choir derrière lui.
« Une dernière tentative désespérée ? La victoire est mienne », s'exclamâ­t-­il alors que Sieg revenait en courant vers le fond de l'oasis les Nelphas fuyant dans le désert, anéanti par les crocodiles qui regagnaient leur demeure sans une égratignure.
Mais alors que Ternk allait porter le coup fatal, la massue en l'air, Olivier leva la main et crispa ses doigts ordonnant à son bâton de lui revenir. Ce dernier se souleva dans les airs et fondit vers lui empalant Ternk qui ne vit pas venir le coup. Il regarda le trou béant qui venait de lui être infligé et s'écroula, raid mort, avec un air d'étonnement et d'incompréhension sur le visage tandis qu'Olivier s'effondrait, inconscient.
Sieg s'assura qu'Olivier n'était point mort avant de se diriger vers Ternk et lui ôta son heaume. Il découvrit le visage d'un vieillard, couvert de cicatrices, les traits tirés, les yeux rendus blancs par un pouvoir qui l'avait usé. Il n'osait imaginer quelle sombre magie l'avait transformé dans cet état. Sieg ne laisserait toutefois pas son corps à la merci du premier venu. Il tira le corps vers l'étang et laissa un crocodile l'emporter au fond de l'eau. Il ne garda que sa massue dont il espérait pouvoir en tirer quelque chose, même si elle pesait affreusement lourd sur ses épaules.
Tous deux n'avaient plus désormais qu'à espérer le secours d'Anélia et d'Ophélie, car ils n'avaient plus de vivres et ne tiendraient pas longtemps dans le désert. Sieg n'ayant pas la force de traîner Olivier et la massue de Ternk jusqu'à Tongguzbasti.

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