Mise au point

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Maya
     - Je vous demanderai de vous présenter, mademoiselle.
Je crois que je suis vraiment au fond du trou pour accepter de venir voir cette folle. Pardon, cette psy.
     - Mademoiselle, présentez-vous.
Je garde le silence et continue de la fixer sans état d'âme. Puis, après quelques minutes, je prends une grande inspiration et commence mon auto-biographie. Ou presque.
     - Je m'appelle Maya.
Le Dr. Ashley Greymond fixe son bloc-notes en hochant la tête.
     -C'est un début. Peut-être accepteras-tu maintenant de me donner ton nom de famille?
Je la regarde avec un petit sourire narquois.
     - Pourquoi me demander ça alors que toutes les informations que vous voulez sont notées sur la feuille devant vous?
En effet, ma fiche de renseignement est posée sur la table basse qui me sépare de Mme Greymond. Elle ne paraît même pas étonnée par ma remarque et se contente d'écrire encore et toujours sur son stupide bloc-notes.
     - Observatrice, qualité intéressante, en as-tu d'autres?
     - Je trouve ça narcissique de faire une liste de ses qualités. Êtes-vous narcissique, Dr. Greymond?
Les psys m'insupportent. Ils sont le genre de personne qui aime se sentir supérieur à la population, tout ce que je déteste. Je suis du genre franc-parler alors ...
    - Avant que vous ne vous fassiez je ne sais quelle idée à propos de moi, je tiens à vous dire que je vous déteste.
Quand je vous parlais de ma franchise.
    - Tu sais, Maya, je vais te raconter quelque chose d'intéressant sur mon métier ...

    - Parce que c'est un métier ce que vous faîtes en ce moment ?

Elle me regarde, avec un sourire satisfait aux lèvres.

    - Oui, Maya. Et il y a souvent deux catégories distinctes de patients dans ce cabinet: ceux qui m'adore et ceux qui me déteste.

    - Laissez moi deviner. Ceux qui vous adore sont hypocondriaques. Ou en manque d'affection, ce sont tous ceux qui viennent de leur plein grès car ils savent qu'avec votre sens du dévouement à la personne et un peu de leur argent, vous les écouterez.
    - Tu penses que je fais ça pour de l'argent ?
La malice emplit son regard et je sens monter en moi l'adrénaline du défi.
    - Avec un tarif horaire aussi élevé, j'espère au moins que vous profitez de tout cette oseille.
Un léger rictus apparaît au dessus de sa lèvre et je continue mon exposé sur le thème des "fabuleux" psychologue.
    - Quand aux gens qui vous déteste, ils sont sûrement dans la même situation que moi.
    - Laquelle?
Sa question est purement rhétorique. Elle sait pourquoi je suis là. Je me lève de mon fauteuil et m'approche de la fenêtre du cabinet qui donne sur une rue très fréquentée.
    - On m'a forcé à venir. En me faisant chanter.
    - Quel genre de chantage?
    - Je ne peux pas vous le dire.
    - Tu ne peux pas où tu ne veux pas ?
Je ferme les yeux et sens une boule se former dans ma gorge.
    - Je ne sais pas.
    - Peux-tu alors me dire pourquoi on t'a forcé à venir?
Je rouvre les yeux. La voilà. La question. Celle que je redoutais le plus. Si je ne lui réponds pas, elle ira demander directement à ma mère. Et je n'ai pas la force de l'affronter encore une fois sur ce sujet. Je me retourne pour faire face à la psy.
    - Je suis là pour parler d'un problème qui n'en ai pas un.

Mathieu
     - Mamaaaaaaaaan!
Des bruits de pas rapide dans l'escalier. Ma mère apparaît à la porte de ma chambre, essoufflée.
     -Quoi? Qu'est-ce que tu as ? T'es malade? Blessé ? Oh mon Dieu, tu as le SIDA !
Je la regarde partir dans ses délires avec mépris avant de lui couper la parole.
     - Mais non enfin, j'ai pas le SIDA ! Je voulais savoir pourquoi il n'y a plus de WIFI! J'ai des séries à regarder !!!!
     - Tu as fait tes devoirs?
     - Oui
     - Tu as sorti les poubelles?
     -Oui
     -T'as rangé ta chambre ?
Elle jette un coup d'œil circulaire à la pièce avant de se répondre à elle-même:
     -Oui, toujours aussi bien rangé qu'un bloc opératoire.
Elle fixe le bout de ses pieds comme une enfant prise en faute, avant de me regarder avec tristesse.
     -Essaye d'allumer ta lampe de bureau.
Je la regarde avec incompréhension mais m'exécute. J'ai changé l'ampoule récemment donc il n'y a aucune raison pour que ça ne fonctionne pas. Pourtant la lumière refuse de s'allumer. Alors je comprends.
     -Il manque combien ?
Ma mère recommence à fixer ses pieds et me dit d'une petite voix:
     -La totalité de la facture.
Je ferme les yeux et me rends alors compte que mon P.C. portable n'a presque plus de batterie. Je l'éteins et souris à ma mère, comme je le fais toujours dans ce genre de situation.
     -Je vais devoir faire des heures supplémentaires au Fast-Food pour régler ça.
     -Non, ne fais pas ça. Mathieu, tu as 17 ans. Tu ne devrais pas avoir à gérer les factures de la famille.
     - Maman, les tâches doivent être reparties dans une famille. Et comme il n'y a que toi et moi à pouvoir prendre en charge les factures depuis que cet enfoiré est ...
     -Ne parle pas de ton père comme ça.
     - MAIS COMBIEN DE TEMPS TU VAS ENCORE TE VOILER LA FACE MAMAN!! S'IL NOUS AIMAIT VRAIMENT IL NE SERAIT JAMAIS PARTI AVEC SA PUTE!!
Ma mère commence à sangloter et je sais que je suis allé trop loin. Mais cela fais bientôt deux ans que mon géniteur nous a lâché pour une autre et elle persiste à l'aimer. Je sais que l'amour est un concept très euphorique pour la plupart des gens mais il n'est que chimie naturel pour que l'espèce humaine continue à procréer.
     - C'est quoi une puuuteuh?
Allison, 6 ans, débarque dans la chambre avec sa frimousse adorable. Elle me fait complètement craqué et pour rien au monde, moi, son frère, je ne la laisserai tomber. Ma mère hésite un insant, lui sourit à travers ses larmes la prends dans ses bras et vient s'asseoir sur mon lit. Je grimace: elles vont faire des plis sur les draps.
     -Ma chérie, une pute, c'est la personne qui t'as enlevé ton papa.
Je fixe ma mère, sonné. Aurait-elle enfin compris ? Elle me regarde avec fierté avant de continuer.
     -Ce qui est triste, c'est que ton père s'est laissé piège par un vilaine fille alors qu'il avait la plus belle des princesses à ses côtés ...
Elle prend le visage d'Allison dans ses mains.
     -... et je ne parle pas de moi.
Je rigole malgré moi et regarde l'heure. 17h56. Il me reste un peu de temps. Nous sommes vendredi et mon service ne commence qu'à 19h. Je prends mon sac à dos, y place mon ordinateur et m'apprête à partir lorsque ma mère me retient par la manche de mon blouson.
     - Aucune heure supplémentaire. C'est compris ? Si tu n'es pas rentré aussitôt après ton service, je vais moi-même te chercher.
     - Je te le promets maman. Même si je trouve ça stupide, quelques heures plus ne vont pas me tuer !
Elle me prend dans ses bras, me dit combien elle m'aime, j'embrasse ma sœur et je pars. Mon vélo est loin d'être neuf mais il fait l'affaire pour mes déplacements: école, travail, centre-ville.
Mais ce n'est dans aucun de ces lieux où je me rends actuellement.
Lorsque j'arrive à destination, je regarde une nouvelle fois l'heure. 18h07. Parfait, il est rentré. Je ne prend même pas la peine de sonner à la porte, il n'y a que moi qui la franchi lorsque ses parents sont à l'étranger. J'entend alors des jurons provenant de l'étage et m'y rend immédiatement. La maison est immense mais je trouve directement son occupant. À mon entrée, Martin perd sa partie de FIFA et me regarde avec la tendresse d'un agneau.
     -Mon petit Titi, viens faire un câlin à Tintin.
Il m'ouvre ses bras et je lui envoie un coussin en pleine tête.
     -Arrête tes conneries, "Tintin". J'ai besoin d'un coup de main.
     -Tout ce que tu veux mon pote, je suis d'humeur charitable.
Je sors mon ordinateur du sac et il me regarde avec incompréhension. Alors je lui raconte tout. Les problèmes d'argent qu'on a à la maison, la soudaine prise de conscience de ma mère à propos de mon "père" et son refus pour que je fasse des heures supplémentaires.
     -Tu sais, si tu voulais seulement une oreille attentive, tu devrais plutôt te chercher une copine, c'est plus douée pour ces choses là.
     -Je te remets seulement le contexte pour pouvoir te demander de garder mon précieux et de le mettre à charger pour les cours de lundi.
     - Attend. Cours? Lundi? C'est un nouveau concept de jeu vidéo?
     - Ne me dis pas que t'as oublié la rentrée ?
     -Nooooooooon, c'est pas mon genre.
Martin prend alors mon "précieux" et le branche. Je regarde à nouveau l'heure sur ma montre, 18h19. Je sais, j'ai le souci du contrôle et surtout sur le temps.
     -Arrête de stresser, tu seras à l'heure au boulot et puis, si le patron t'embête, dis lui bonjour de ma part!
Je rigole doucement à cette plaisanterie. Mon supérieur est l'oncle de Martin, Daniel Hossman. Il me connaît depuis que je suis gosse, comme la totalité de la famille de mon meilleur ami. Daniel m'a immédiatement engagé lorsque j'ai postulé car la salope qui m'a pris mon père n'est autre que ... sa femme. Elle n'a jamais été appréciée dans la famille Hossman et maintenant, elle est responsable de la destruction de la famille Wilde. Et si je vous dis que Daniel et mon père étaient meilleurs amis, imaginez un peu la scène... Oui, je sais, en termes de relations, mes proches et moi-même ne sommes pas très habiles.
Cela fait maintenant 10 minutes que j'observe mon meilleur ami jouer sur sa console et se prendre un raclée par un joueur Coréen. Je me dis qu'il était bien meilleur quand il tapait sur toutes les touches en même temps parce qu'il ne savait pas à quoi elles correspondaient. Je lui dis au revoir et prends le chemin du Fast-Food.

Un, deux, trois, ça sera toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant