Chapitre 3

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À l'aube, le duo d'infortune s'arrêta, épuisé. Leurs pas les avaient menés aux abords d'une maison isolée derrière laquelle s'écoulait l'Aër. Cette rivière tranquille reliait le lac de la Sireine, situé au pied de La Forteresse, et le Grand Lac, coincé entre les ruines d'Oridiasa et Lyanthara, la capitale de l'Idalie. Neph et Shéa décidèrent de s'arrêter pour demander quelques provisions à l'habitant. La chaumière n'était ni très grande, ni très droite, ni très neuve. Elle possédait, néanmoins, un certain charme avec son potager à l'avant, son muret qui l'entourait et son petit portail de bois. Le potager était bien entretenu et la maisonnette, bien qu'âgée, semblait proprette. Un filet de fumée s'élevait de la cheminée.

« Un bien joli tableau ne trouvez-vous pas, Shéa ? Cette petite maison, ce joli potager, l'eau guillerette s'écoulant paisiblement dans les premières lueurs de l'aube. Ce pourrait être le début d'une histoire grandiose, comme dans les légendes où un jeune fermier devient le héros de toute une contrée. Qu'en pensez-vous ? »

Neph énonça ces mots le regard fixé sur quelque rêve éveillé. Cela ne faisait pas de doute : une récit naissait dans les tréfonds de son imagination.

« Mmh... Je me demande surtout ce qu'il y a dans le garde-manger, rétorqua Shéa, plus pragmatique.
– Oui !, Neph se retourna vers la jeune femme, le regard pétillant, Oui ! C'est tout à fait cela ! Imaginez qu'un vieil homme avec une longue barbe blanche, portant une bure d'arcaniste, apparaisse sur le pas de la porte et nous lance d'une voix tonitruante...
– Vous marchez sur mes plates-bandes, jeune homme ! »

Une voix grave et profonde venait de retentir dans le dos de Neph qui se retourna, surpris. Le regard hagard et la bouche bée, le barde regardait un vieil homme avancer vers eux. Ce dernier ressemblait exactement à ce que Neph avait imaginé : une longue barbe blanche s'étirait jusqu'à sa ceinture, de petits yeux gris perçants fixaient les jeunes gens et sa... tunique râpée ne descendait que jusqu'à ses genoux noueux. En réalité, le vieil homme ressemblait presque à ce que Neph avait imaginé. Les poings posés sur les hanches, il affichait une moue grimaçante qui rappelait beaucoup le mécontentement.

« J'ai planté des géraniums avant-hier, je vous prierais donc d'aller marcher ailleurs. Et puis, qui avez-vous traité de vieux ?! »

Shéa, qui se retenait de rire depuis qu'elle avait vu le vieil homme sortir de la maisonnette avec son air contrarié, n'en put plus. Elle éclata d'un rire franc devant la mine ahurie de son compagnon de route. Neph, pour sa part, se contenta de baisser les yeux vers ses pieds et de constater que la terre avait été retournée de fraîche date. Sautant sur le côté pour sortir des plates-bandes, il manqua de peu trébucher.

« Mais... Euh... Je... Vous... Nous... Enfin..., bredouilla-t-il.
– Ce que mon comparse essaie de vous dire, c'est que nous avons voyagé toute la nuit et que nous sommes affamés. Auriez-vous, un peu de nourriture pour des voyageurs égarés ? »

Après un temps de réflexion, que le vieil homme mit à profit pour scruter avec attention les deux voyageurs, il finit par répondre :

« Bien... Je suppose que j'ai fait pousser trop de patates et de carottes pour moi tout seul... Entrez donc et restaurez vous, ronchonna-t-il en leur ouvrant le portillon. Mais faites attention à mes choux, n'allez pas les écraser eux aussi ! »

Ces dernières paroles s'adressaient à Neph qui, honteux, observait le sol avec intérêt afin de poser les pieds sur le chemin et non dans les choux. À l'intérieur de la maisonnette régnait une douce chaleur. Dans l'air, flottait une délicieuse odeur de ragoût, qui devait mijoter depuis la veille.

« Je vous demanderais de bien vouloir laisser vos bottes, vos armes et le luth à côté de l'entrée.
– Qu'est-ce qui vous fait croire que nous avons tous les deux des armes ?, s'exclama Neph, éberlué.
– Vous avez voyagé de nuit. Or – le vieil homme pointa un doigt accusateur vers les jeunes gens–, les gens normaux ne voyagent pas de nuit, ni hors des sentiers, d'ailleurs.
– Alors pourquoi ne serions-nous pas des bandits qui seraient là pour vous dépouiller ? », hasarda Shéa.

La Fuite (Neph et Shéa 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant