Réscapés

Chapitre 1

On nous parle souvent de nos ancêtres. Parfois en nous en disant du bien, parfois du mal. Comment déceler la vérité dans tous ces livres et ces belles paroles ? Etaient-ils vraiment si irrespectueux de la nature pour lui avoir fait subir tant de mal ? Il parait qu'avant, à leur époque, on pouvait voir des arbres, des fleurs, de l'herbe partout autour de nous. Mais aujourd'hui, tout est de pierre et de béton, la nature est une chose recherchée, rare et précieuse. Le moindre petit coin de verdure est protégé, interdit d'accès. On ne peut donc plus manger de fruits et de légumes, on est obligé d'ingurgiter des capsules sans aucun goût pour régulariser le manque de vitamines, de fibres et tout le reste.

La surpopulation a elle aussi fait des dégâts, abîmant le peu de vie naturelle qui restait à l'époque, piétinant et détruisant les forêts et les prairies pour en faire des habitations ou des champs agricoles. Mais tout ceci a pris fin il y a quelques temps, lors des années noires. Cette période est la pire épidémie que la terre ait connue de toute son existence. Plus de la moitié de la population mondiale en a subi les conséquences, par la faute de la pollution devenue trop importante au fil des ans, à cause d'un trop grand nombre de véhicules et d'industrie toxiques. Intoxiqués, asphyxiés, empoisonnés... les types de morts sont nombreux. Nombre de personnes y ont perdu des proches et accusent nos ancêtres ne n'avoir pas fait attention à la planète. Mais comment auraient-ils pu prévoir une telle catastrophe ? Un nombre si important de morts ?

Mon ami Pierre fait partie de ces personnes, mais Yuma et moi défendons nos prédécesseurs. Je sais qu'ils auraient pu faire plus d'efforts, mais je suis sûre qu'ils ont quand même fait tout leur possible. Cela devait tout simplement être inévitable. Et puis comme dit ce vieux dicton « on a tort de courir après un passé enfui », cela ne sert à rien de regretter, autant se tourner vers l'avenir. Ce sujet de conversation est d'ailleurs l'une des principales causes de nos disputes. Yuma et moi sommes des amies d'enfance. Je l'ai rencontrée alors que j'étais en primaire, elle se faisait embêtée par des plus grands et je suis alors intervenue. Elle était d'une nature timide et l'est d'ailleurs toujours même si elle arrive à aller plus facilement vers les autres, et je fais de mon mieux pour la défendre bien que cela ne soit pas toujours facile. Notre amitié avec Pierre a débuté bien plus tard, alors que nous étions en deuxième année de collège. Il venait d'une contrée lointaine, notre petite ville n'avait pas vu d'étranger depuis si longtemps qu'il s'était alors tout de suite fait ensevelir par une nuée d'élèves curieux. Il les avait repoussés de façon brutale, si bien que plus personne n'avait osé l'approcher. Ce jour-là j'avais oublié mon déjeuner, il m'avait alors gentiment proposé de partager le sien et comme je n'ai pas répondu il avait pris ça pour un oui, avait coupé son sandwich en deux et m'avait donné la moitié, « tiens ! » m'avait-il lancé avec un grand sourire accueillant aux lèvres. Je m'en rappelle comme si c'était hier. Je l'avais alors présenté à Yuma et nous ne nous sommes plus jamais séparés.

Pour revenir à la pollution, après ces années de souffrances, le président et les députés survivants avaient alors décidé de replanter les seuls arbres qui restaient et d'en faire une immense forêt qui entourerait la surface permettant d'accueillir les rescapés, dans le but de purifier l'air. Depuis leur plantation, les arbres sont devenus immenses, la forêt dense ceinture notre territoire et ses villes, et nous n'avons aucune nouvelle de l'extérieur, mais cela ne nous dérange pas, en tout cas pas pour ma part. Evidemment il y a toujours les « aventuriers » qui aimeraient franchir cette barrière mais les rumeurs les en dissuadent. Il parait que la forêt noire est habitée par des créatures si laides que rien que de les voir cela te tuerait sur place, ou bien que la puanteur de leur gueule t'asphyxierait immédiatement. Mais bon, ce ne sont que des rumeurs ou des contes pour enfants permettant de les dissuader d'aller dans la forêt noire, et de toute façon cela est interdit bien que personne ne sache pourquoi. On a appelé cette forêt « la forêt noire » en référence aux années noires mais ça vous l'aurez compris. Je pense que j'ai à peu près fait le tour, mais si des éléments venaient à me revenir je les rajouterai tout de suite, maintenant il faut peut-être que je me présente.

Je me nomme Ayfer Black, j'ai quinze ans et quatre mois, et je suis en première année de lycée. Mon prénom signifie clair de Lune, dans une langue ancienne, le turc je crois. Ma couleur porte-bonheur est le violet et j'aurais soi-disant un talent pour la peinture (je n'ai jamais essayé) c'est tout ce que j'ai réussi à apprendre dessus. Il est très rare, si bien que je n'ai jamais rencontré de personnes portant le même prénom que moi, c'est à se demander où mes parents sont allés chercher ce prénom quand même ! Quant à mon nom de famille, il parait que dans une autre ancienne langue cela signifiait noir, comme la couleur. Je suis la fille d'un des hauts dirigeants du pays, et actuellement une sorte de Premier ministre. Je suis l'unique descendante de la famille et je ne m'en plains pas. Ma mère est morte lorsque j'étais petite mais comme je n'ai pas beaucoup de souvenirs d'elle cela ne me dérange pas, alors pas la peine de s'apitoyer sur mon sort. Mon père et moi sommes très heureux sans elle, il a su compenser le manque d'une mère avec sa chaleur et sa bonne humeur habituelle.

J'ai aussi, comme je le disais à l'instant deux amis, Yuma et Pierre. Même s'ils sont très rarement d'accord et de nature différente, ils arrivent à s'entendre à mon grand soulagement, moi qui les aime autant l'un que l'autre. Ce sont d'ailleurs mes seuls amis car les autres ont peur de mon père à cause de son statut. Tous les trois nous débattons souvent sur des sujets divers, parfois même assez ridicules comme le repas du midi ou la couleur des yeux de Yuma. Oui car ses yeux sont un mélange de bleu, de vert, de gris et de marron, si bien qu'il est impossible de dire quelle est leur couleur exacte. Moi je penche plutôt pour le vert, mais Pierre lui est sûr qu'ils sont bleus. Parfois ces désaccords peuvent durer quelques heures mais jamais plus, Yuma change toujours de sujet avant que cela ne dégénère. Parlons donc de Pierre. Lui, il est assez grand, au-dessus de la taille moyenne mais pas non plus un géant. Il a les cheveux bruns un peu comme l'écorce des arbres de la forêt noire (enfin, d'après les photos que j'en ai vues). Ses yeux sont couleur châtaigne parsemés d'éclats d'or. Je suis sûre que s'il s'ouvrait un peu plus aux autres il pourrait avoir du succès auprès des filles de notre classe. Mais bon, je ne peux pas changer sa nature. Quant à moi, je suis la fille basique que l'on croise à chaque coin de rue, brune, mes cheveux arrivent environ à ma taille. Quand j'étais petite, on m'a fait un carré, et je n'ai tellement pas aimé que j'ai juré que plus jamais je ne me les couperai, et jusqu'aujourd'hui j'ai réussi à tenir ma parole, et croyez-moi j'en suis fière (de mes cheveux je veux dire). Mes yeux, eux, sont verts, mais pas vert-caca d'oie comme la plupart, non, vrai vert pomme.

Par contre pour mon caractère...Il est très dur de se décrire soit même. En fait on se voit grâce au regard des autres, il n'y a pas longtemps nous avons fait une sorte de jeu en cours, on devait d'abord trouver trois qualités à quelqu'un que l'on connaît bien puis trois à soi-même. Et bien faites l'exercice chez vous et vous verrez qu'il est beaucoup plus difficile de se trouver trois qualités qu'en trouver aux autres. Je pense que là aussi j'ai à peu près fait le tour des choses importantes. Je vais peut-être enfin pouvoir commencer à raconter mon histoire.