Si je me souviens bien, c'était un dimanche d'octobre. Il ne faisait ni froid, ni chaud. Comme d'habitude quoi. Ma mère avait décidé de passer l'après-midi à jouer au Scrabble avec ses copines. Autant vous dire que ça ne m'emballait pas plus que ça. Ma petite soeur, Lucie, 17 ans, en pleine crise d'adolescence, était partie en vadrouille je ne sais où avec son copain. En ce qui me concerne, j'étais enfermée dans ma chambre à regarder une série télé, je vous avoue ne plus me rappeler laquelle. Enfin bref, une journée normale, à faire des choses normales, avec ma famille normale.
Sauf que, voyez-vous, ma mère avait une amie du nom d'Isabelle. Et je peux vous assurer, moi, qu'Isabelle elle n'était pas normale. Isabelle, c'était un peu la madame Irma de Fontainebleau, qui se la jouait madame Bovary quand elle venait à la maison. Isabelle adorait les robes en dentelles, le gâteau au chocolat, les potins et le parfum à la vanille.
Mais, voyez-vous, ce qu'Isabelle aimait par dessus-tout, c'était les chats.Et c'est ainsi que commence réellement mon histoire.
J'étais tranquille, affalée dans mon lit, canette de coca à ma droite, ordinateur à ma gauche, lorsque ma mère a soudainement décidé de débouler dans ma chambre.
- Mélo, tu veux pas jouer avec nous au Scrabble ? On est trois, et tu sais à quel point je déteste le chiffre trois. J'ai loupé trois fois le capes, je me suis cassée trois fois un ongle en trois mois, et...
- .... tu as pris trois kg depuis les dernières vacances. Je sais. Je termine mon épisode et j'arrive.
Vous savez, dans la vie, nous serons toujours confrontés à un certain nombre de choix. Ce jour là, je devais me décider entre ranger ma chambre, ou bien jouer au Scrabble avec ma mère et ses potes. La question était vite réglée.
Voilà comment je me suis retrouvée en face d'Isabelle et ses baguettes chinoises dans les cheveux. J'étais assise à côté de Madeleine, une collègue à maman. Des fois, je me demandais si elle était muette, ou bien si elle évitait de parler car elle avait un truc de coincé entre les dents.
- Vous ne devinerez jamais ce qui m'est arrivé hier soir !
Je soupirais. Isabelle commençait toujours ses histoires par "vous ne devinerez jamais".
- Je rentrais d'une folle soirée au cours de salsa, lorsque j'ai entendu un bruit.
- Quel genre de bruit ? demanda ma mère.
- Des miaulements !
Je soupirais une seconde fois. Une histoire d'Isabelle ne pouvait exister sans miaulements.
- Je me suis arrêtée quelques secondes pour écouter, puis j'ai repris ma route. Je suis passée chez Clotilde mais il n'y avait personne alors je suis directement rentrée chez moi. Alors que je cherchais les clés dans mon sac pour ouvrir le portail, j'ai aperçu une masse sombre près de la voiture.
- Laisse-moi deviner, c'était un chat ?
Ma mère me fusilla du regard. Enfin bon, on parlait d'Isabelle, je ne m'attendais pas à ce qu'elle remarque quoi que ce soit.
- C'est bien cela, un chat ! s'exclama notre madame Irma avec enthousiasme, un beau chat noir ! La pauvre bête était couverte de sang, blessée. Évidemment, je l'ai tout de suite ramenée chez moi pour la soigner. Je vous le dis, ces miaulements, ce chat, c'est le destin, il devait venir à moi!
- C'est super, lui dit ma mère, tu vas le garder ?
Isabelle, vétérinaire de profession, est mariée à Georges depuis 18 ans maintenant. Georges est quelqu'un de très gentil, très conciliant, et supporte les dix chats de sa femme à la maison. Seulement voilà, Georges hait les chiffres impairs tout autant que ma mère déteste le chiffre trois.
- C'est impossible, répliqua Isabelle, Georges ne supporterait pas un onzième chat. Cependant, je m'y suis attachée depuis hier soir, et je ne me vois pas l'abandonner à un refuge comme ça.
J'ai regardé ma mère, ma mère m'a regardé. Vous l'avez sûrement deviné, mais ce chat, nous avons décidé de l'adopter. Isabelle savait être persuasive. À la maison, nous avions déjà un chat, appelé Harry. Harry était vieux, Harry était gros, Harry était une femelle. Harry était toute seule depuis trop longtemps, et on pensait tous que ce serait chouette de lui trouver un copain.
Isabelle nous apporta le chat deux semaines plus tard, le temps qu'il se remette de ses blessures. Il était un peu sauvage, mais il se laissait caresser. Nous avions eu du mal à lui trouver un prénom. Ma mère souhaitait l'appeler Lyon, comme la ville où Isabelle était née, ma soeur voulait l'appeler Mimi, parce qu'elle trouvait ça pratique, je voulais l'appeler Niki, car je trouvais ça mignon, et mon père voulait l'appeler Théo, car il avait toujours rêvé d'avoir un fils appelé Théo. Le pauvre chat s'appela donc Lyminith, afin de mettre tout le monde d'accord.
Lyminith était un chat normal, et s'accommodait parfaitement à notre famille normale. Il passait ses journées à dormir. Vous devez vous demander "c'est tout ce qu'elle avait à nous raconter ?", "l'histoire est déjà terminée ?".
Ne parlez pas trop vite. Imaginez que ce que je vous ai raconté, depuis tout à l'heure, n'était qu'un prologue. Maintenant, nous pouvons enfin débuter le chapitre 1.Nous étions un dimanche soir. Encore. Le froid de décembre était arrivé. J'avais troqué ma canette de coca pour un chocolat chaud. Il y avait beaucoup de vent, ma mère avait éteint internet, toutes les lumières de la maison et la télé de peur que l'orage ne frappe. Je m'ennuyais. Lucie était en voyage scolaire, et mon père traînait je ne sais où avec ses copains.
Je me demande encore ce qui ce serait passé si ma mère n'avait pas été invité par Isabelle, ce soir là. À 20h30 tapante, je me suis donc retrouvée seule avec Harry. Lyminith était partie en vadrouille dans le jardin. Je n'avais jamais aimé l'orage, je préférais donc rester cloîtrée dans mon lit, comme si ma couverture avait le pouvoir de me protéger.
Je tentais de me concentrer sur la lecture de mon nouveau livre pour oublier l'approche de l'orage. Il faisait froid, et j'entendais les fenêtres claquer. Cela n'arrivait que très rarement, mais ma mère avait probablement oublié de les fermer avant de partir.Elle s'appelait Chiaki.
J'en avais assez de grelotter dans mon lit, et puis surtout, j'avais faim. Je suis donc allée dans le salon, où la fenêtre était grande ouverte. Je suis entrée dans la cuisine, et je l'ai trouvé là.
- Comment êtes-vous entrée ici ?
Ce sont les seuls mots qui m'ont échappé. J'aurais pu lui demander "Pourquoi est-ce que vous êtes en train de lécher le couvercle de ce pot de yaourt" ou bien encore "Bah dis donc, super le déguisement, on dirait de vraies oreilles. Comment vous faites pour faire tenir la queue ?". Mais impossible pour moi de dire autre chose. Elle m'a regardé, longuement, avec ses grands yeux gris, avant de s'approcher de moi. J'avais trop peur pour reculer. Elle a approché son visage du mien, près, tout près...
Puis elle m'a reniflé.
Oui oui, reniflé.
C'est là qu'elle a commencé à s'énerver.
Je n'avais pas encore pris la peine de vraiment l'observer. C'était une jeune fille, toute menue, toute petite. Ses cheveux noirs étaient coupés très courts, juste en dessous des oreilles. Elle portait un kimono rayé rouge, noir et blanc, attaché par une grosse ceinture orangée.
Avant que je n'ai le temps d'esquisser le moindre geste, elle m'avait attrapé par le haut de mon pyjama pour me faire basculer dans le salon.
- Il est où ? s'était elle mise à crier, Où est le chat noir ?
- Comment êtes-vous entrée ici ?
C'était bête, c'était irréfléchi. Ça m'avait échappé. Je me posais trop de questions, à commencer par son accoutrement bizarre et ses ongles qui, d'un seul coup, s'étaient mis à pousser. J'étais couchée sur le sol, n'osant pas me relever.
- Je viens de là.
Elle avait dit ça calmement. De sa main droite, elle me montrait la fenêtre. Plus jamais je n'oublierai de fermer la fenêtre. Plus jamais. La jeune fille s'agenouilla, avant de m'attraper par le bras pour me forcer à me relever.
- Tu sens le chat, me dit-elle, le chat noir.
J'aurais aimé lui dire, "et toi, tu sens le yaourt". Vous l'avez deviné, je n'ai pas osé.
- Bon, puisque tu ne veux pas me parler, je vais devoir employer les grands moyens, continua t-elle en faisant glisser un de ses ongles, ou devrais-je dire, griffe, sur ma joue.
J'aurais bien aimé parler, vraiment. Le problème, c'est qu'en plus de ne pas comprendre ce qu'elle voulait, elle me faisait flipper, cette inconnue. Je m'imaginais déjà me faire découper par ses griffes, que la nouvelle ferait le tour des journaux le lendemain, qu'Isabelle viendrait inonder ma tombe avec son horrible parfum à la vanille.
- Miaou.
Je vous jure, le chat avait vraiment fait Miaou. Le même Miaou que vous pouvez faire, que je peux faire, que l'espèce de chat dans Pokémon peut faire. Près de la porte du salon se tenait Lyminith, le poil hérissé.
- Tu es enfin là ! Ne crois pas pouvoir lutter, cette fois, ça ne se passera pas comme la dernière fois !
La pression était redescendue. D'un seul coup. J'étais en train de réaliser que je me faisais martyriser par une fille, plus petite que moi, qui était passée par la fenêtre afin d'attaquer mon chat.
- Ça suffit maintenant, criais-je, vous feriez bien de partir avant que je n'appelle la police. Si vous n'aimez pas mon chat, grand bien vous fasse, je m'en fou. Ma mère va bientôt rentrer, lâchez moi.
Elle s'est mise à rire.
Son rire sonnait à mon oreille comme une myriade de miaulements. Elle finit par s'arrêter, pour se mettre à sourire. Je remarquais que ses dents étaient particulièrement pointues.
- "Ton" chat ? ricana t-elle, Qui es-tu, jeune humaine, pour te permettre de parler du grand chat noir comme cela ?
Je sentais ses griffes s'enfoncer de plus en plus fort dans ma peau. Ça me faisait mal.
- Chiaki, laisse la partir maintenant, elle ne pouvait pas savoir.
À la place de Lyminith se tenait un garçon, grand, très grand même, avec des cheveux longs et noirs tombant sur ses épaules. Il avait des yeux gris, comme mon agresseur.Je m'appelle Mélody, Mélo pour les intimes, j'ai 19 ans, et je viens de vous raconter le jour où mon chat s'est transformé en humain.

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L'Empire des Chats
FantasyTout le monde aime les chats. Ils sont mignons, par souvent affectueux, ne font que manger et somnoler. Et si... Il s'avérait qu'à la nuit tombée, pendant que vous dormez, vos animaux chéris se transformaient en humain ? Ne soyez pas surpris, si, le...