Swimming pool & you

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  CM2

  La première fois que je l'avais vu, c'était à la mi-mai, avec un sourire timide au coin des lèvres, ses longs cheveux bruns lisses à moitié coincés sous la sangle de son sac à dos. La maîtresse l'assit un rang devant moi et une table sur ma droite. J'avais passé ma journée à la regarder : pendant les maths, pendant la poésie, pendant les sciences, à la récré, pendant l'art plastique. Et même le midi, lorsqu'elle n'était pas venue à la cantine, je n'avais pas quitté le portail des yeux, effrayée qu'elle ne revienne pas. Mais elle était là, de l'autre côté de ma table couverte de toile cirée, de la peinture verte sur la joue. Ce jour-là, je n'arriva pas à me concentrer sur mon dessin. Et les lundis suivants non plus.

6ème

  J'avais passé mon été en famille. Avec mon cousin Wells et mes cousines. Nous étions partis à la mer et j'avais presque réussi à oublier ses yeux verts. Presque. Tous les soirs en me couchant, tous les jours où je marquais un temps d'arrêt avant d'entrer dans l'eau, son visage souriant flashait devant mes yeux. Et je ne pouvais m'arrêter de me demander si elle irait dans le même collège que moi et je priais silencieusement le ciel, pour que quelqu'un là haut m'entende - peut-être mon grand-père, il m'aimait bien, alors peut-être qu'il accepterait de faire ça pour moi - et exauce mon souhait.

  Le jour de la rentrée, je ne tenais plus en place. Ma mère essaya de me calmer, me pensant stressée, mais tout ce que je cherchais c'était ces yeux, ses yeux. Lorsque je fus appelée et emmenée en classe, je ne l'avais toujours pas vu et mon coeur se serra. Je ne lui avait jamais parlé, jamais. Elle s'entendait bien avec les autres et elle était même amie avec mes amies ; mais pas avec moi, je ne lui parlais pas. Je lui avais tendu un stylo un jour, en plein contrôle alors que je l'avais vu secoué son stylo plume et que, se rendant compte qu'elle n'avait plus d'encre, ses yeux commencèrent à briller. Elle m'avait simplement sourit mais ça me suffisait. On ne se parlait pas, mais on se souriait, des fois, souvent.

 La sonnerie me tira de ma rêverie et je n'avais rien écouter. Même en étant ailleurs, elle réussissait à attirer toute mon attention. Tout le monde sortit et je les suivis. J'appris en rattrapant Octavia que nous faisions une visite guidée. En passant dans un couloir, on croisa un autre groupe d'élèves et j'aurais mis ma main à couper que ces cheveux bruns étaient les siens. Mais, encore deux mois après la rentrée, je ne l'avais toujours pas croisé. Alors j'essayais de me faire une raison : elle était dans un autre lycée.

 5ème

Un  jours, alors que je me croyais guérit d'elle, je demanda à Octavia si elle avait des nouvelles de cette brunette avec qui elle était amie. Elle me répondit simplement d'un haussement d'épaule et Raven me souffla à l'oreille qu'elle prenait des cours à domicile pour "raisons personnelles". Mais je ne lui avait jamais parlé, alors je ne demanda pas plus. Et je l'oublia.

    ( Ou je tenta ...)

3ème

    Dans les premiers mois, je l'avais croisé plusieurs fois. Au début, je ne l'avais pas, ou n'avais pas voulu, la reconnaitre. Elle était toujours assise sur le même banc, seule, un livre à la main. Elle ne parlait à personne, ne souriait jamais et ne regardait que le sol ou son livre. Mais je n'allais pas la voir, parce que nous n'avions jamais parlé au-dessus de cette foutu toile cirée. Nous ne nous sourîmes pas non plus, pour cela il aurait fallu qu'elle me remarque, mais elle ne levait pas les yeux, elle ne parlait pas. La première fois où je recroisa son regard, mon coeur se mit à flotter dans de l'eau chaude. Ses yeux étaient mouillés, ses joues aussi et son menton tremblait. Je m'étais disputée avec Octavia et j'avais refusé de manger avec elle et Raven. Alors je m'étais faufilée hors du self avec mon yaourt et des morceaux de pains à la main. J'étais à la recherche d'une salle de classe discrète où j'aurais pu m'installer. Je monta au deuxième étage, là où personne ne venait jamais et je m'engouffra, non dans la première mais dans la deuxième classe. Lorsque j'ouvris la porte, le cœur battant d'excitation, je me retrouvai nez à nez avec ces petites lèvres boudeuses. Sous le choc, je voulais faire demi-tour, fermer la porte et m'enfuir. On ne s'était jamais parlé. Mais ce n'était pas poli, et je ne voulais pas la laisser comme ça au fond. Je poussa la porte derrière moi et, me contorsionnant, je sortis un mouchoir de mon sac. Je le lui tendis et elle le pris, comme elle avait pris mon stylo. Elle ne m'avait pas rendu mon stylo à l'époque, et, aujourd'hui, je ne voulais pas qu'elle me rende le mouchoir non plus. Elle s'essuya les yeux et me remercia silencieusement, dans un hochement de tête perdu dans ses sanglots. Je m'assis de profil et mangea mon yaourt, dans le silence. La sonnerie retentit après une éternité et elle ne bougea pas. Je compris qu'elle allait rester là et qu'elle attendait que je m'en aille. Je voulais parler. Casser ce pacte implicite mais lorsque j'ouvris la bouche, aucun son n'en sortit. Et sous son air compatissant, je retourna en cour. C'est la dernière fois que je -ainsi que n'importe quelle autre personne de ce collège- croisa son regard.

Prompt/One-shot(s) ClexaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant