Il m'arrive très souvent d'aller dans des gares. Chaque fois, elles ont un effet particulier sur moi. Certaines me font peur, d'autres m'enchantent mais chaque fois, je m'y perds. Chaque fois, j'y rêvasse. Je m'y égare, et souvent, je m'y perds. Je ne compte pas, plus, le nombre de fois où j'ai raté un train à quelques minutes près, seulement parce que je suis incapable d'être attentive à quoi que ce soit plus de cinq secondes et demie. Je ne compte pas, plus, le nombre de fois où, trop fascinée par une artichecture, un plafond à la peinture écaillée, une poutre à l'utilité toute relative, un quai pas très droit ou un luminaire particulièrement beau, je me suis fait bousculer par des voyageurs pressés et pas aimables.
Pas aimables parce qu'être pressé, ça octroie le droit de ne plus être poli, parce qu'être pressé c'est hurler sur des travailleurs honnêtes qui ne font même pas grève et qui supportent sur leurs épaules le poids de la pression que tous ces voyageurs, minuscules petites fourmis du voyage, leur jette dessus sans ménagement. Comme s'ils n'avaient pas une famille à rejoindre dès ce soir, comme s'ils n'avaient pas d'enfants à nourrir ou à cajoler. Comme s'ils ne quittaient jamais la gare mais toujours leur poste de travail. Comme s'ils étaient inutiles et que nous, voyageurs, usagers, ayons un métier tellement plus important, tellement plus gratifiant, tellement moins méprisable qu'eux autres, grévistes de cheminots.
Les gares sont des théâtres à échelle humaine, à cœurs ouverts. Décor éphémère dans une histoire qui suspend son cours ou le reprend, après une parenthèse que deux gares, rien que deux gares imposent. Alors que certains brûlent d'impatience, d'autres pleurent un départ, et quelques grincheux râlent parce que cinq minutes de retard tous les jours, ça commence à suffire. Sans se douter de rien, certains voyageurs vont trouver la surprise ou la déception de leur vie tout entière. Le théâtre muet où chacun abandonne une part de son existence ou bien la reprend en cours de voie me rend euphorique.
Être la spectatrice muette et inconnue de retrouvailles, de séparations, de disputes, de demandes en mariage, de preuves d'amour d'une infinie tendresse m'émeut. Parfois, quelquefois, j'en suis l'actrice, la vedette de passage, la fameuse. Les gares sont pleines de promesses, de mots échangés, d'attendrissements et de tant d'autres choses qui en font la beauté.
Il n'y a rien de plus beau qu'une gare à toute heure du jour, lorsque l'on entend une voix nous annoncer tout ce que l'on veut entendre ou pas, compagnonne malgré elle de fortune, un îlot dans l'océan démonté, une oasis au milieu du désert de la solitude. L'attente qui nous dévore, l'attente qui nous atteint et nous consume est infiniment plus belle que tout autre chose. Elle nous tient en haleine, nous fait suffoquer et nous promet un monde meilleur, une destination rassurante, planifiée, atteignable.
Les gares m'émeuvent. Et je viens de rater mon train.
--------------------------
Je m'essaie à autre chose. N'hésitez pas à me dire si ça vous plait, si vous aimeriez que j'écrive sur un sujet particulier.
Dites-moi, surtout, ce que vous pensez des gares, et à très vite pour de nouvelles tribulations.
Bisous & caramel mou,
Ana.

VOUS LISEZ
Tribulations.
AlteleParfois, je m'égare. Dans mes pensées ou dans les rues, chaque fois le résultat est le même : une Ana paumée dans un endroit bien trop grand pour elle. Dans ces moments-là, une seule solution. Lumos Maxima. J'empoigne mon smartphone pour me sortir...