Regard de marbre

57 1 7
                                    

Tout au long du voyage, je m'efforçais de ne pas lui adresser de regard ou de paroles malgré ses propos déplacés ou moqueries incessantes.
Les vitres du train étant fumées, on ne pouvait donc pas apercevoir l'extérieur. Chose qui par ailleurs, commençait à être agaçante. Je n'avais ni téléphone, ni papier, ni quoi que ce soir pour me divertir. En réalité, j'avais un téléphone, mais je ne souhaitais pas le montrer pour pouvoir, si possible, le grader sans qu'on me le confisque. Il me semble que les téléphones étaient interdits, mais je ne me souviens pas très bien sachant le nombre exorbitant de choses interdites dans ma nouvelle "ville".

Le numéro sept prit la parole:

- "C'est quoi vos prénoms, enfin, c'était quoi ?"
J'allais répondre mais numéro quinze me coupa la parole:

- " vous savez qu'on est pas censés dire nos prénoms, mais seulement nos numéros."

J'étais étonnée qu'il ai ce genre de réaction et je rétorquais:

- " Ah, monsieur applique les règles maintenant ?"D'un ton moquer.

J'étais fière de ma réponse, j'avais enfin eu l'occasion de me venger.

Malheureusement il répondit sans plus tarder:

- " Mais c'est qu'il a de la repartie notre petit numéro douze ! Et pour répondre à ta questions, oui j'applique les règles puisque je ne tiens pas à me faire expulser ou pire. Déjà que c'est une punition de venir ici, je ne tiens pas à ce qu'elle s'aggrave."

Son "ou pire" me fit frissonner.

- " C'est à dire ou pire ?" Dis-je en tremblant.

-"Et bien, on raconte que les infractions sont punies très sévèrement a la cage".

La cage, c'était donc comme ça que tout le monde l'appelait. Ce n'est pas très rassurant.

Un bruit strident retentit. C'était le train, il était sur le point de s'arrêter.
Plus aucun de nous ne parlait, même pas le bavard de numéro quinze. Tout le monde était apeuré, si bien qu'on aurait pu entendre les mouches voler.
Une voix féminine retentit:

-"Veillez descendre calmement du train et vous diriger vers les portes blanches."

On sortait tous du train sans trop de hâte et là, un espace nouveau s'offrait à nous. Un grand mur blanc comparant une multitude de petites portes blanches se dressait devant nous.
La voix retentit une seconde fois:

-"Les numéros un à neuf dirigeaient-vous vers la porte numéro une. Les numéros dix à quinze dirigeaient-vous vers  la porte numéro deux..."
Elle répéta ces paroles tel un robot jusqu'à la centième personne.

Je me dirigeais donc vers la deuxième porte accompagnée de numéro quinze comme toujours. Elle s'ouvrit sur une grande salle sombre entièrement faite de métal argenté. On y découvrait une table sur laquelle était disposé six vestes bleues du style bombers. Elles était toutes de la même taille, malheureusement.
-" Pourquoi c'est là ça ? " dit numéro quinze de son ton insolant.
Soudain, un homme vêtu de noir apparut, il jurait totalement avec le décor immaculé. Il avait au moins deux têtes de plus que moi et un regard sans expression, il était comme de marbre. Regard qui par ailleurs avais suffit à fermer le clapet du numéro quinze.

-"Ce sont des vestes pour chacun de vous. Elles représentent votre division. Chacun a un numéro dans le dos identique à votre numéro, j'espère que vous me suivez", Dit il en esquissant un petit rire.
Je ne m'y attendais pas, son regard de marbre s'était alors transformé pendant quelques instants pour laisser place à un autre plus expressif, plus vivant. Comme si une partie de son humanité refaisait surface. Il semblait différent des autres, il n'était pas ahuris comme tout le personnel du gouvernement et ne répétait pas bêtement les petits discours débiles qu'on lui demandait de répéter.

Il reprit:

-"Habillez-vous maintenant... Et rejoignez les autres."
Il partit sans un mot dans la pénombre.
On commençait à regarder les vestes.
Je trouvais enfin la mienne, un énorme "12" noir était brodé sur le dos de celle-ci.
-"Très discret", pensai-je.
Elle était beaucoup trop grande pour moi puisque c'était une taille homme.
Contrairement à moi, la veste allait parfaitement à quinze et aux autres, normal c'était tout des garçons. J'étais la seule fille et je venais à peine de m'en apercevoir. Mais où avais-je la tête ?

Une fois habillés, on passait par une porte au fond de la salle qui menait sur une court. Tout le monde y était déjà réuni. Des vestes jaunes, noires, magentas et d'autres se mélangeaient au feuillage des arbres verts. Une voix masculine cette fois prononça quelques mots:

-"Veillez vous diriger vers la salle commune derrière la porte sur votre droite."

La porte donnait sur un immense bâtiment en forme de dôme. J'essayais de ne pas trop m'écarter de mon groupe bleu et avançais avec appréhension dans la grande salle.

Elle était vaste et comportait une multitude de tables collées de bout en bout sur de nombreux mètres. La salle était toujours blanche et épurée comme pratiquement tout ici.
J'entreprenais de m'asseoir sur une table en bout de file accompagnée de cinq autres vestes bleues. Toutes les tables étaient rangées pas couleurs et cela me faisait rire. Ils avaient déjà réussit à calmer et à ordonner une bande de criminels en moins d'une heure. Enfaite, je vais retirer ce que j'ai dit. La cohue commença et les bavardages fusaient. Certains couraient sautaient et hurleraient même. Notre table était la seule à peu près tranquille mis à part onze et treize qui discutaient (assez fort) avec deux filles de la table jaune d'à côté.
Soudain, une poignée de personnel du gouvernement se présentait sur l'estrade qui surplombait le réfectoire, et le calme reprit le dessus. Parmi eux se trouvait l'homme au regard de marbre de tout à l'heure. Une femme qui était une copie conforme de tout les autres nous expliquait le fonctionnement de la nouvelle cité dont je n'écoutait que la moitié des mots. Mais lorsqu'elle commença à parler de la répartition du personnel dans les sections, mon attention reprit. Elle désignait plusieurs personnes sur l'estrade qui était gérants d'une section. Deux femmes avaient était affectées l'une à la section jaune et l'autre la section orange.

-"Pour la section bleue, reprit elle : votre titulaire sera ....".
Elle désigna un homme du doigt.

Je portais mon regard sur l'estrade et je découvrais notre titulaire.
C'était l'homme au regard de marbre.

ENCREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant