Chapitre 1

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Spaghettini ou salade césar molle. Nouilles aux tomates ou feuilles vertes au Romain déchu. Sérieux, c'est quoi ces choix minables?

La dame de la caféteria, masquée pour des raisons de confidentialité, semblait légèrement énervée. Elle tapotait impatiemment de son gros doigt ganté l'espèce de cuillère qui allait me servir un de ces plats infects. Voyant mon indécision, elle cracha:

- Allez petit, spaghettini ou salade césar. Je n'ai pas que toi à servir.

Je regardai avec dédain la longue file d'adolescents en uniforme gris à ma droite, attendant  d'être nourri par la seule station de la cafétéria.

- Ouais, bien je crois que je vais prendre ce petit pain à beurre et foutre le camp. Merci quand même, dis-je en tentant de sourire, mais en vain.

Je m'emparai du pain à ma gauche, le seul truc mangeable ici, et le balançai sans délicatesse dans mon plateau, où il trônait avec une bouteille d'eau. Sympa mon dîner en perspective.

Je balayai du regard la grande salle grisâtre, à la recherche de Luna. Soudain, sa voix criant une de ses répliques pourries attira mon attention:

- Non, mais c'est quoi ton problème, espèce de primate imberbe!

À 30 mètres de moi, un garçon arborant un rictus s'approchait d'elle et lui répondait quelque chose que je ne pus comprendre dû à ma distance. Je remarquai le chandail mouillé de Luna. Sur le plateau du mec, j'aperçus une bouteille d'eau identique à la mienne, tombée vers elle. Il l'avait délibérément renversé! Soudain, il empoigna sa bouteille et la vida sur les beaux cheveux blancs de Luna. Je fulminai. Elle aussi, ça se voyait dans son regard. Il allait le regretter! Je pressai mon pas vers lui, l'œil mauvais. Il allait le payer. Personne ne blessait Luna. Personne. Je me rapprochai de plus en plus. Rendu à un bras de distance, je lui balançai mon plateau à la tête de toutes mes forces. N'ayant rien vu venir, le garçon, que ma colère m'empêchait d'identifier clairement, s'affala de tout son long sur le sol, sonné. Tout comme mon petit pain et ma bouteille, d'ailleurs. Ce n'était pas une grosse perte, mais elle était certes plus importante que cette ordure qui s'en prennait à Luna. Ce n'était pas la première fois que ça arrivait, mais ça me faisait sortir de mes gonds à chaque fois. Inquiet, je portai désormais toute mon attention à elle:

- Ça va?

Je ne reçus pour seule réponse qu'un vigoureux hochement de tête ornée d'un rayonnant sourire qui voulaient tout dire. Rassuré, je relâchai mes muscles faciaux que je n'avais pas réalisés aussi crispés jusqu'à maintenant.

- Que te voulait-il?

Je poussai brusquement du bout du pied l'épaule du garçon au sol afin de voir son visage. Alors comme ça c'est lui le...

Je me sentis soudainement bousculé. On m'empoignait par le cou et le bras, qu'on me tordit dans le dos, et me plaquait sur la table à proximité. Ma bouche entrouverte par une grimace permit presque à ma langue de goûter les bactéries sur la surface plane. J'entendis les plaintes de Luna alors qu'elle subissait le même traitement que moi par les gardiens de la pièce, sûrement alarmés par la scène de la bouteille et du plateau. À sa vue, je me débattis, mais il ne fallait jamais sous-estimer la force de plusieurs armoires à glace réunis. On nous traîna en salle d'isolement, où nous fûmes séparés. Je me senti projeté vers l'avant alors que l'obscurité et l'insalubrité de la chambre noire m'engouffraient. Puis, un détestable silence emplit la pièce. Je détestais les endroits sombres, ce qui est assez en accord avec mon nom: Hélio. Ça donnait du temps pour réfléchir, cette pièce. Trop de temps. Mais ça, c'était avant que Luna ne me parle ici pour la première fois, grâce aux bouches d'aération. C'est qu'elle pouvait se montrer persistante lorsqu'elle voulait parler, et ce même avec des inconnus. Bon, j'étais vraiment réticent au début. Mais je ne la connaissait pas. Pas comme maintenant.

- Merci d'avoir frappé ce mec, résonna alors sa voix jusque dans ma cellule.
- Pas de quoi. Il l'avait mérité...
- Ça c'est vrai, non mais franchement, je le connais même pas en plus, dit-elle en augmentant de volume. Tu sais quoi? Je ne te remercie pas, j'aurais préféré le frapper moi-même.

À l'entendre, je ne pus réprimer mon sourire; toujours aussi indépendante. Je sais bien qu'elle pouvait se défendre tout seule, mais c'était plus fort que moi.

- Tu me connais, il ne s'en serait pas tiré autrement de toute façon, que le coup vienne de ta part ou de la mienne. J'avais besoin de me défouler à cause du menu de la cafétéria. Il est infect.

Son rire cristallin résonna alors jusque dans ma cellule et me procura un bien fou. C'est dans des moments comme ceux-là où je pourrais presque oublier ce qu'on fait ici, à la CAGE. Ce que l'on apprend. Ce que l'on est devenu.

Sans arrêter de rire pour autant, elle rétorqua:

- C'est vrai que le menu est dégueulasse...
- Aujourd'hui, c'était spaghettini ou salade césar. Du coup, j'ai pris un petit pain avec de l'eau, dis-je avec un ton légèrement arrogant.

J'attendis sa réaction avec un sourire, mais elle ne vint pas. Je ne savais plus trop quoi dire et c'était rare, ça... Quelques fois, Luna s'emmurait dans un silence où il était très difficile de venir la chercher. J'ai toujours cru qu'elle pensait à sa vie d'avant, dans ces moments-là. Elle n'aimait pas en parler. J'ai l'impression qu'elle ne pouvait pas accepter notre situation. C'était vrai que le fait d'être des orphelins élevés par une agence gouvernementale pour devenir des machines à tuer n'était pas le plus reluisant des parcours, mais au moins, je l'avais rencontrée, non? Honnêtement, mon passé n'était pas tellement meilleur non plus. Vivre seul, dans une cage dorée avec une belle-famille riche qui ne vous comprends pas, me semble plus déplaisant désormais que de résider ici, au Centre d'Apprentissages Guerriers, avec elle. Après une bonne heure, je me décidai à lui parler de nouveau:

- Luna? l'interpelai-je alors. Regrette-tu d'être ici?

J'attendis encore, dans l'espoir qu'elle m'ait entendue. J'étais sûr qu'elle s'était endormie.

- Oui, je voudrais qu'on soit ailleurs... Si on peut sortir d'ici un jour, on ira en Inde, affirma-t-elle alors d'une voix un peu rauque, preuve de son récent réveil.
- En Inde? Pourquoi?
- C'est là-bas que j'ai grandi...
- Toi? Indienne? Dis-je alors, sous le choc.

Puis, ce fut le calme plat. Aucune réponse, pas même un son jusqu'à ce que j'entende son léger soupir s'approfondir pour me signaler son sommeil. Je crus bon de faire de même. Dormir était toujours une bonne idée. Pourvu que je ne fasse pas un cauchemar avec un pain beurré venant me sauver de méchants spaghettini et de détestables salades césar... Toutefois, la perspective d'encore frapper le connard, mais avec un poignard à sa gorge cette fois-ci, m'enchantait.

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⏰ Dernière mise à jour : May 26, 2016 ⏰

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