Le pendu

C'est ça, vous allez me dire. « Mario, arrête! Pas encore une de tes histoires qui n'a ni queue ni tête. » Depuis quand que je vous raconte des histoires qui ne sont pas vraies. Si jamais ça m'arrive, que le diable vienne tout de suite et qu'il prenne mon âme à tout jamais.

L'histoire qui suit n'a jamais été racontée par personne, sauf un jour mon cousin qui me l'a confiée en secret. Lui, il la tenait de son père un ancien bûcheron. Il y a des histoires qui font mal et qui ne sont pas racontées car même plusieurs années plus tard elles dérangent. Elles dérangent, elles ouvrent des blessures qui ne sont jamais guéries. Elles posent des questions qui n'ont pas eu de réponses.

Comme vous pouvez le constater ici, c'est une histoire de bûcherons qui se passe dans un petit chantier à Piopolis. Autrement dit on parle de gars qui se connaissent tous et en plus si l'on fouille un peu, ils sont tous parents de près ou de loin entre eux.

C'est comme ça dans toutes les petites paroisses du Québec.

Le mot paroisse désigne dans le christianisme la subdivision de base d'un diocèse dont la charge pastorale est confiée à un curé. Dans la phrase qui suit, il y a le mot municipalité. Les municipalités au Québec sont des entités administratives dévolues par le gouvernement. Avant, il n'y a pas si longtemps, c'était des Seigneuries et il y avait des Seigneurs.

Là on est dans les années 1934,1935 dans ces eaux là. À Piopolis et dans les autres municipalités des alentours les chemins carrossables sont rares, surtout en hiver. Donc pour aller du point A au point B se déplacer à cheval c'est comme normal. Les automobiles sont très rares dans le coin. Le déplacement à pieds pour aller à la messe, aller chez les voisins, voir la parenté ou aller accrocher son fanal chez une bien aimée fait partie du quotidien. Si je vous parle de ça, c'est parce que plus loin dans l'histoire je vais revenir sur se promener à pieds.

On est en pleine période de la crise. Pour moi qui est déjà d'un âge avancé. (Ici j'entends encore mes anciens compagnons de travail me dire : Mario parle pour toi, nous on est encore jeunes). La période de la crise, je sais ce que ça veut dire, j'en ai beaucoup entendu parler. Pour les jeunes la crise ça veut dire quoi? Je vais essayer de vous l'expliquer brièvement.

Il y a eu la première guerre mondiale 1914-1917. Cette période changea les façons de faire dans le monde à tout jamais. Les industries se sont mécanisées et automatisées. Les industriels ont fait des profits record tout en employant moins de monde.

La richesse du monde est distribuée différemment. Les riches sont plus riches et les pauvres plus pauvres.

Donc, en employant moins de monde, le chômage augmente. Dans ce temps là il n'y a pas d'assurance chômage. Donc, si tu es sur le chômage il n'y a pas d'argent qui entre dans tes poches. Si tu n'as pas d'argent dans tes poches tu n'achètes pas et l'économie arrête de fonctionner.

Autrement dit, l'économie c'est une grande roue qui doit tourner. Pour que la roue tourne il y a du monde qui graisse les bearings de roue. C'est les petits qui sont au bas de l'échelle salariale qui font ça. Ceux qui sont de la classe moyenne poussent sur les rayons de la roue. Les mieux nantis eux sont ceux qui touchent au pavé une fois à chaque tour de roue.

Il s'est produit ce qui devait arriver. N'ayant plus personne pour mettre de la graisse dans les bearings de roue, la roue a ralenti au point d'arrêter. Ceux qui poussaient sur les rayons se sont trouvés eux aussi à leur tour au chômage. Les mieux nantis, ceux qui touchaient au pavé une fois de temps en temps, plusieurs ont tout perdu même s'ils avaient des relations privilégiées avec la classe dirigeante.

Là on est loin de l'histoire de bûcheron, mais on va y revenir.

Les dirigeants de ce monde eux, ils savaient ce qu'ils faisaient. Ils faisaient du monde affamé, prêt à faire n'importe quoi pour ne pas mourir de faim. Ils voulaient des soldats pour faire une seconde guerre, car la guerre pour eux est le moyen le plus facile pour faire beaucoup d'argent.