3-Liam

5.3K 426 25
                                    

Six mois plus tard, je suis en consultation quand mon téléphone sonne. Après mes quatre dernières heures de travail, je regarde enfin mon portable et constate qu'il s'agit d'un numéro inconnu. Je décide de rappeler, et quand après une durée interminable le téléphone se décroche enfin, je reconnais immédiatement cette voix que je n'aie entendu qu'une fois.

"T'es un menteur... T'avais dit que tu répondrais tout de suite, doc..." Je me fige. Elle est presque inaudible.

"Où es-tu ? Je viens te chercher immédiatement !"

"Je sais pas... J'ai froid doc. Je crois que je vais enfin crever." Et je l'entends rire doucement.

"Tiens le coup, donne-moi un nom de rue, n'importe quoi, qu'est-ce qu'il y a autour de toi ?" Je l'entends rire encore un peu, faiblement.

"J'en sais foutrement rien, j'ai jamais appris à lire... Appelle pas la police, s'il te plait." Et il raccroche.

J'essaie immédiatement d'entrer son numéro dans une application de localisation et, par chance, il a un smartphone. Il n'est qu'à trois kilomètres. Je prends la voiture et roule aussi vite que possible.

Quand j'arrive sur les lieux, je ne le vois pas tout de suite. On est dans un quartier difficile, défavorisé. Il y a des jeunes et des Sdf un peu partout, qui me regardent avec méfiance et partent en courant quand je m'approche. Ils imaginent sûrement que je suis policier, eux aussi...

Je le repère finalement et mon cœur se serre dans ma poitrine. Il est au sol, inconscient, entouré de sang. Je crois d'abord qu'il est mort.

M'approchant plus près, la culpabilité me prend quand je vois qu'il tient fermement le téléphone d'une main, et le papier contenant mon numéro de l'autre.

Je prends ses paramètres vitaux et trouve un pouls faible. Il a perdu beaucoup de sang, et je ne trouve pas tout de suite la blessure. Finalement, je comprends qu'il a été touché à l'abdomen, probablement par une arme blanche.

J'appelle une ambulance et comprime la plaie en attendant. Il se réveille vaguement et je l'entends murmurer "pas l'hôpital..." Mais je refuse de l'écouter. Il est pris en charge et je monte avec lui, expliquant aux ambulanciers que je travaille au service d'urgence et que je vais m'occuper de lui.

C'est après le résultat des radios et l'auscultation que je me rends compte que ce gosse a dû en baver toute sa vie. Il a des traces de brûlures et de mutilation un peu partout sur le corps, et les radios montrent qu'une grande partie de ses os ont été cassés au moins une fois, et souvent pas ou mal guéris...

Après plusieurs heures à m'occuper de lui, il ressemble enfin à quelque chose. Sa plaie ne le tuera pas. Il a perdu beaucoup de sang, mais je suis arrivé juste à temps... Si j'avais répondu au téléphone tout de suite, est-ce que ça serait arrivé ? Est-ce qu'il m'a appelé parce qu'il avait peur ? Est-ce qu'il était déjà dans cet état ? Est-ce qu'il a souffert seul durant quatre heures ?

Le lendemain matin, il se réveille enfin. J'ai veillé sur lui toute la nuit et n'ai pas fermé l'oeil. Je suis heureux de voir qu'il a repris des couleurs et que son état s'est clairement amélioré.

Comme la première fois, je me lève de ma chaise et m'approche doucement du lit d'hôpital. "Tu vas bien?" je lui murmure.

Il se lève d'un coup en me voyant, les yeux pleins de terreurs. Ses mouvements brusques lui arrachent un gémissement de douleur, et il se tient le ventre, des larmes dans les yeux.

Avec son regard dur, je ne m'attendais pas à voir une telle expression chez lui.

"Pourquoi t'es là ?" il me demande, agacé.

"Parce que tu m'as appelé. Et parce que c'est ici que je travaille."

"Je... Je t'ai appelé ?" il semble perdu.

"Tu ne t'en souviens pas ? Quel est ton dernier souvenir ? La police est dans le couloir pour t'interroger."

"La police ?!" Je vois une lueur de panique passer brièvement. Puis il se reprend "Je suis pas en état de parler et j'ai rien à leur dire. Renvoie-les."

"C'est la procédure, tu as été blessé par quelqu'un. Ils doivent te poser des questions." je lui dis froidement. Je revois en lui l'enfant qu'il devrait être.

"Je t'avais demandé de pas les appeler." Il me dit, détournant le regard.

"Je croyais que tu ne t'en souvenais pas ?" Je hausse les sourcils. Sa mémoire est sélective.

"Ben je m'en souviens maintenant !" il se met à hurler, mais se crispe rapidement. "Quand est-ce que je peux partir ?"

"Dis-moi ce qui t'est arrivé ! Et calme-toi, tu vas arracher des points de suture."

"Je veux pas en parler. Je peux pas en parler." Et il se retourne tant bien que mal dans son lit, espérant sûrement que je laisse tomber. Mais ce ne sera pas le cas. Pas cette fois.

Non Désiré ZiamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant