《Madame.》

La Demoiselle se tient devant sa porte ouverte dans la même position qu'elle prend chaque matin. Ses mains sont jointes devant sa jupe écarlate, tandis qu'elle baisse la tête avec humilité et crainte. Elle sait depuis longtemps que sa maîtresse s'est réveillée bien avant son arrivée, et que depuis tout se temps ses grands yeux fixent la plafond en cillant à peine.

Mais son devoir lui implique de venir chaque jour la réveiller. Alors, elle descend son regard vers le sol et tente de ne pas relever les cernes violets, comme deux balafres, qui marquent le visage clair de la Reine, et l'air absent qui lui infligent des remords qu'elle ne devrait pourtant pas ressentir.

Elle ignore que cette femme hait cette manière qu'elle a de se détourner sur son passage, et de l'attendre avec une prudence qu'on réserve aux enfants ou au mourants. Elle meure d'envie de lui ordonner de la sortir elle-même de ce lit où il lui semble que les heures sont des supplices, où l'espace habituellement donné à deux personnes lui semble trop grand. Elle se perd entre les couverture et les draps, cauchemarde durant ses rares instants de sommeil. Et le pire est de se réveiller en pleine nuit, sous l'obscurité étouffante qui affole son coeur et noud des neuds dans sa gorge et sa poitrine.
Chaque matin, elle tente de croiser le regard de cette servante dont le malaise face à sa présence est plus visible que sa propre personne. L'aura de crainte qui l'entoure lui donne une raideur qui semble insoutenable à la Reine.
"Donnez-moi la preuve qu'il existe encore une ultime palpitation autour de moi. Montrez moi que je ne me suis pas perdue dans un cycle, un supplice appelé vie" pense-t-elle en dévisageant ce front, ce menton, qui s'ils le pouvaient s'enfuiraient à son arrivée.
Sans résultat.

Il lui faut enfiler, comme chaque jour, les vêtements et les manières royales.
Et avant cela, elle parcours le long corridor sombre. Sa chemise flotte sur ses hanches, caresse ses jambes, en contact avec l'air, sous un courant qui parfois traverse le couloir tout entier. À la hauteur de ses yeux, les braseros vacillent, les dernières flammes, résistantes, dansent sous l'afflux d'air froid.
Ses pieds, qu'elle ne veut pas couvrir en se levant, frôlent le sol glacé, ne s'y attardent pas.
Cela fait si longtemps qu'elle a cette sensation. De n'être qu'une ombre, un soupir, une poussière. La légèreté. L'inutilité éphémère.

Enfin, le dédale débouche sur une porte dont un lourd rideau bouche l'entrée. Alors elle s'y arrête, et dans un mécanisme bien huilé, la demoiselle, qui la suivait silencieusement pour faire oublier sa présence, se précipité pour relever un pan de tissu. Puis elles s'engouffrent dans la pièce.

Les bains royaux possèdent une atmosphère apaisante. La Reine, en y entrant, se laisse toujours bercer par l'odeur douce qui y règne, renouvelée chaque jour avant son arrivée. Ce mélange d'encens et de jasmin ourle un peu son ennui, lui arrache un soupir.
Elle se dévêtit doucement de sa chemise, qui glisse sur le sol d'ardoise, dont la noirceur lui paraît pourtant douce à l'oeil.
Contrairement à l'air froid de couloir qui ne lui arrachait aucun frisson, l'air embué orne sa peau de chair de poule. Ses poils se hérissent sur ses bras et ses jambes, et le contact du bout de ses doigts sur son ventre la fait tressaillir. Son ventre, son corps, dont la blancheur et la rondeur est accentuée par les quelques puits de lumières qui tamise l'endroit.
C'est la vue de ses ombres qui se décalquent sur cette chair, qui est la sienne, qui lui provoque ces étranges sensations. Elle passe tant de temps à tenter de se détacher de son corps physique, d'oublier qu'elle possède deux bras, deux jambes, et autant de mains, et que ces membres ne sont pas qu'un reflet dans le miroir. Elle en a finit par se détacher du fait qu'il fait parti intégrante de ce qu'elle est. Elle n'est pas une Reine. Elle n'est pas une femme appelée Roxane. Elle n'est d'ailleurs même pas une femme. Elle n'est que des bouts de muscles et d'os. Elle est cet être qui se mouvoit sous l'impulsion de son esprit.

Là où les reines vont tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant