La première pensée qui lui vient à son réveil, est la présence de l'eau.
Autour d'elle, le clapotis est doux et ambiant. Comme si le son se réverbérait autour d'elle, diffus et multiple, envahissant l'espace.La première vision qui lui succède et qui surgit devant ses yeux, est un étrange dessin. Les formes sont floues et effacées, les couleurs ont disparues ou ne laisse qu'un halo peu visible. Mais la scène est toujours discernable.
Ses paupières engourdies tentent de se refermer complètement et ses yeux la piquent, mais elle résiste contre cette envie de se rendormir qui se généralise en elle. Ses bras sont tremblants, et tous ses autres membres lui semblent si lourds et détachés de sa volonté que l'idée même de les mouvoir lui semble absurde.
Elle lutte aussi contre son propre esprit, aussi engourdi que ses muscles, qui l'empêche de réfléchir en brouillant les sensations et les souvenirs.
Elle ne sait qu'une chose: elle doit continuer à observer l'image.
Alors, dans un combat permanent, futile mais épuisant, elle garde les yeux ouverts. Mais la vision rapide de ses cils passant devant ses yeux lorsqu'elle les cligne est tentatrice.Elle essaye de comprendre.
Elle doit comprendre.Il lui semble que rien n'est plus important à cet instant.
Elle tente donc de ne pas faire attention au filtre flou qui brouille sa vision. Aux larmes qui ne parviennent pas à humidifier ses yeux secs.
Il y a trois... personnages.
Au centre, une femme.
Son visage lui parait abîmé. Comme si, à certains endroits, son corps peint avait été brûlé, et que le suif avait mieux tenu que les pigments. Elle porte une tunique qui avait dû être rouge. Et ses bras sont tendus sur les côtés, dans une attente indescriptible.
Cette figure semble être la seule a avoir subit les étranges dégradations. Deux hommes, intacts, ont été esquissés au bout de ses bras.
Celui de droite est dans une flagrante attitude de vénération. Sa tête penchée vers le sol, sa posture -un genou à terre-, et ses propre mains tendues vers la femme en témoignent.
En plissant ses yeux, elle remarque ses cheveux bruns, et une étrange épée qu'il porte autour de la taille, d'un genre qu'elle n'a jamais vu en vrai mais qui pourtant ne lui est pas nouveau...
En un sursaut, elle échappe au semblant de rêve dans lequel elle avait commencé à plonger. Elle tente d'oublier la sensation douce que l'endormissement a laissé sur son corps.
Elle continue.
Le troisième personnage. À gauche. Elle tique un instant en observant la façon dont son corps a été disposé. Sa tête repose dans la main de la femme, et il semble inerte. Un tressaillement lui parcours le dos lorsqu'elle comprend enfin: son crâne n'est plus rattaché à son cou. Les membres sont dénués de vie, et elle distinque même un hâlo rougeâtre autour de la paume de la femme.
Celle-ci lui semble soudainement être devenue une autre. La figure dans sa douce patience semble s'être transformée en un être dangereux, meurtrier.
Son regard abîmé ne la lâche plus.
Il n'est plus question de retomber dans le sommeil. Elle fixe la femme peinte, et cette contemplation lui est insoutenable et ambiguë. À la fascination se mêle l'horreur, au frisson le désir de comprendre.
Elle s'y arrache en se relevant.
Les sensations explosent dans sa tête. Passer d'allongée à assise aussi rapidement lui provoque un mal de crâne qui lui scinde la tête. La douleur part d'une tempe à l'autre, comme un fil aiguisé lui tranchant le cerveau. Sa vision se trouble, et malgré les efforts qu'elle doit déjà fournir pour rester droite, elle se lève.
La douleur s'amplifie.
Sa vision se dédouble et devant elle, la pièce tourne. Les images dansent inlassablement devant elle, et elle se sent tomber sur le côté. Elle étouffe un gémissement entre ses dents, et pendant un instant, elle retire sa main de son emplacement d'origine. Plus rien ne la retient - ses pieds, ses jambes, ne lui semblent plus être de véritables attaches- et le vacillement de son corps lui fait un drôle d'effet.
Plus rien n'a d'importance.
Ni rester debout, ni tomber. L'instant est étiré jusque ses limites, que sont les frontières confuses du temps, et semble être à la fois insupportable long et trop rapide.
Sa main rencontre le tissu de la couche sur laquelle elle avait été allongée.
Elle se laisse glisser au sol.
C'est en baissant les yeux vers celui-ci qu'elle comprend enfin où elle est. Elle reconnaîtrait entre mille le sol sombre d'ardoise qui couvre le sol des bains.
L'étrangeté de cette découverte est aussitôt éclipsée par une nouvelle vague de douleur, qui lui arrache de la gorge un gargouillement inaudible. Ses doigts agrippent sa peau, voudrait la perforer de ses ongles pour fouiller son crâne et arracher la source de son mal. Son esprit embrumé confond ses cheveux qui s'entremêlent dans ses mains avec le sang qui pourrait jaillir d'une telle blessure.
Elle gémit avec plus de force, dans un cri qui reste étouffé dans sa poitrine, se gonflant non pas d'air mais de frustration. Elle commence à avoir des haut-le-coeurs, qui lui donnent envie d'ôter ses mains de sa tête pour se faire vomir d'elle-même. Le souvenir de ses premières années en tant que Reine lui reviennent. Elle le faisait souvent, alors. Elle a associé depuis ce goût âcre et acide à celui de la délivrance passagère, et à toute son ambiguïté. La sensation répugnante de son estomac qui se soulevait de lui-même était mêlée à un apaisement étrange. Elle se délivrait, expulsait de son corps une part d'elle-même. Comme si, peu à peu, elle vidait chacun de ses organes vitaux, et qu'un jour, avec un peu de chance, il ne resterait d'elle qu'une enveloppe flasque, sans vie, qui tomberait à terre, et dans laquelle un tas d'os, dont même les tendons et les muscles auraient été retirés, s'entrechoqueraient comme un jeu d'osselets.
Le son de sa propre respiration la ramène à la réalité. Elle avait fermé les yeux.
En les ouvrant, les images se sont enfin fixées. Elle sont ancrées à leur place, au lieu de glisser, sur les murs, sur le sol, au plafond. L'eau du bassin est à l'endroit d'où provient le clapotis. Les statues sont immobiles.
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Là où les reines vont tuer
FantasiLa Reine n'est plus qu'un corps vide, une couronne sur un squelette. Le temps s'étiole autour d'elle, et ses rêves eux-même l'ont quitté. Les songes de liberté se sont enfuis. Mais l'instant ne restera pas figé. Et tout peut changer. [Don't judge m...