sept

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Alice sortit du bus. Il faisait presque nuit en cette fin de journée. Il pleuvait aussi. Elle déplia son parapluie, et s'engagea sur le chemin qui menaient à chez elle.

Devant, il y avait la femme. Elle avançait elle aussi, dans la même direction, quelques mètres plus loin seulement. Elle marchait rapidement sous la pluie, elle frissonnait, de froid sûrement mais aussi peut-être d'inquiétude, dans cette ruelle faiblement éclairée. Elle baissait la tête, elle regardait la route défiler sous ses pieds, ignorant les quelques hommes qui parfois traînent le long des murs, et laissent échapper des remarques insolentes. Combien de fois s'était-elle déjà fait insulter sur ces cinq-cents mètres ?

Elle repensait sûrement à ce gros titre qu'elle avait lu plus tôt le matin, relatant une situation digne d'un film noir, qui pourtant était bien réelle. Une situation à laquelle elle s'identifiait presque ce soir là, les poings enfoncés dans ses poches, l'un serrant un trousseau de clé, qu'elle était prête à brandir pour se défendre.

Alice courra presque pour la rejoindre. Elle abrita la femme sous son parapluie, et les gouttes cessèrent ainsi de mouiller ses cheveux. Lorsqu'elle s'en rendit compte, elle lui adressa un sourire.

« Merci. » souffla-t-elle.

Cet unique mot emplit la jeune fille de fierté. Elle se sentit forte, comme un chevalier protégeant sa princesse, elle en avait toujours rêvé.

« J'ai toujours un peu peur ici lorsque je rentre seule le soir. » se confia la dame.

Pour la première fois, dans cette ruelle sombre et glauque, Alice se sentait briller, et sous ce parapluie qui lui servait d'abat-jour, elle était une petite veilleuse qui venait de s'allumer. Une petite veilleuse à la lumière rassurante, que la dame ne lâchait plus, car elles parcoururent à nouveau ce chemin ensemble, encore et encore dès que l'occasion se présentait.

Il en fallait peu pour satisfaire Alice, un mot ou un sourire suffisaient, alors elle rentrait excitée d'avoir appris une chose au sujet de cette femme, même la plus évidente. Mais cette joie était éphémère, car lorsqu'elle se retrouva à nouveau seule dans son appartement, elle s'éteignit, réalisant qu'elle rêvait un peu trop.
Elle aurait tant aimé la couvrir de baisers, l'inonder de tendresse. Elle savait qu'il n'était pas sain de rêver ainsi, qu'il n'était pas sain de la désirer, elle. Elle s'en voulait d'en espérer autant.
Elle savait trop bien, que le désir mène à la frustration, et que quoi qu'elle fasse, elle finirait malheureuse. Le plus idiot, c'est qu'elle n'y pouvait rien.

D'humeur morose, Alice avait donc pour habitude de s'étaler au sol, comme un jouet cassé. Puis tout en fixant le plafond, elle pleurait, car ça la soulageait.

Non, elle n'était pas heureuse Alice, elle était seule, et elle se faisait chier.


Image: Photo de Alicia Savage

MadameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant