Aux innocents les mains pleines, j't'emmène lancer des médailles dans l'eau bleue des fontaines; et cueillir à nouveau ces visions qu'on s'offrait autrefois, comme des couronnes. Ces visions qu'on s'échangeait pour se dire, pour se rappeler, je suis veilleur, tu es musée. Je veux sentir les feuilles de menthe craquer sous nos dents, avec la chlorophylle qui s'échappe. Je veux résider au creux de ton cou, et dans les draps parfumés de lilas, tandis qu'une madré enveloppée d'un châle rouge bénit nos fronts en silence avec des croix de baume au camphre.
Aux innocents les mains pleines, je t'emmène voir Taulet, Cavoir, Sienne et Navone. Toucher la faïence des rues de Lisbonne et le marbre blanc, lisse et brillant des palais.
Je t'emmène loin des griffes de la colère, loin des regrets, loin des nausées. Je t'emmène loin de la barbarie et des odeurs de kérosène brûlé. Je t'emmène courir après des filles, après des garçons, après des rêves. Et contempler les vivants, ces gens qu'on croise parfois, et qui nous font tomber amoureux pour deux ou pour trois.
