2 - Mère et fils

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Maxime s'était directement rendu chez lui après le cours de musique, comme tous les lundis.
Le vélo abandonné devant l'entrée, il entra dans la maison en jetant ses chaussures dans le couloir et il se dirigea vers la cuisine, comme à son habitude.
Là, sa mère, enceinte de plusieurs mois, servait déjà le repas à son frère aîné qui lisait un quotidien.

- Salut, Max', lança ce dernier sans relever la tête.

- Bonsoir Maxime, salua alors sa mère en se retournant, un large sourire sur les lèvres et cette même expression d'inquiétude qui lui était familière. Ta journée s'est bien passée ?

Maxime se contenta d'un hochement de tête et s'assit à table. Il accrocha son sac au dossier et il attrapa ses couverts, attendant que sa mère lui apporte son assiette. Au menu, il n'y avait que des lasagnes. C'était la tradition du lundi.
Il avala ses premières bouchées comme un enfant affamé puis il se calma et son attention retomba sur ce que lisait son frère.

- La mairie cherche des volontaires pour organiser la fête nationale, dit ce dernier tout haut, attirant ainsi le regard de leur mère. Ils ont besoin de mains pour tout mettre en place. Papa voudra sûrement les aider.

- C'est une bonne idée, nous pourrions tous y participer.

La gorge de Maxime se noua. Il n'aimait pas passer du temps avec les personnes de la ville. Tout le monde connaissait tout le monde et tous le regardaient avec une pitié qui l'agaçait. Comme si son handicap l'empêchait d'être normal. Comme s'il ne pouvait soudainement plus marcher correctement, soulever un carton ou calculer combien font deux plus deux.
Mais il savait qu'une fois l'idée installée dans le crâne de sa mère, c'était terminé, il était trop tard pour la dissuader.
Aussi, il se contenta de lever les yeux au ciel, impuissant et ennuyé.

- Tu pourrais jouer du piano le jour de la fête, proposa sa mère en le voyant pâlir.

Cette idée eut l'effet inverse escompté. Maxime secoua vivement la tête ; il était hors de question que cela arrive. Il était beaucoup trop timide et modeste pour jouer devant un public composé de la ville entière, quand bien même cette ville ressemblait à un village.

- Nathan, tu veux que je te resserve ? demanda-t-elle en changeant de sujet, espérant probablement effacer le nuage gris qui avait pris possession de Maxime.

Le frère aîné secoua la tête en signe de refus.
Leur père travaillait dans une usine d'assemblage, Maxime ne comprenait pas ce qu'il s'y faisait exactement, mais il savait que c'était la plus vieille usine de la ville. Son arrière-grand-père l'avait vu se construire et son grand-père y avait travaillé. Aujourd'hui, c'était le tour de son père et de son frère qui venait à peine d'y entrer.
Personne n'en avait encore parlé dans la famille, mais Maxime savait que ce même destin l'attendait. Pourtant, il avait horreur de cette idée. Son rêve était plus grand, plus vaste. Il rêvait d'une école d'art. Il fantasmait sur de grands conservatoires. Il se voyait dans la Music Academy International de France et il se voyait composer les plus grandes musiques de films du monde... Mais son père voulait faire de lui un bon agent d'assemblage-montage. Et seul un miracle pouvait l'empêcher de l'être. Un miracle ou la fermeture définitive de l'usine. Ce qui n'était finalement pas non-envisageable en se penchant sur les quelques problèmes qui avaient émergé cette année. Ils avaient pour même origine, la crise. Le père de Maxime avait vu deux de ses collègues se faire virer. En une année, il y avait eu deux courtes périodes de grève inutiles qui n'avaient rien fait avancer. Que se passait-il ? Maxime se désintéressait totalement de l'avenir de l'usine. Il ignorait si le visage ridé de son père en rentrant le soir était celui d'un homme épuisé par le dur travail ou un homme crispé d'inquiétude face au lendemain.
Nathan profitait de sa pause, il repartait pour l'usine dès que son père rentrait, c'est-à-dire vers huit heures du soir. Il couchait avec la fille du patron, mais seul Maxime le savait. Ils se voyaient en douce dès qu'ils le pouvaient et ils faisaient tout pour ne pas se faire voir. Aucune des deux familles ne pouvait accepter un lien de ce type. Pas entre deux ennemis.
Maxime savait et il s'en fichait. Il n'avait pas la moindre opinion sur cette relation clandestine.

L'horloge sonna sept heures du soir, Maxime partit s'enfermer dans sa chambre après avoir quitté la table et pris une douche.
Soudain, le visage de Shu se refléta dans sa mémoire. Une légère colère s'empara de lui. Tout ce qui l'entourait était insensé et futile. La ville, le lycée, les gens, sa famille... Tout n'était que tristesse et désolation. Le désespoir guettait chaque maison. La fatalité traînait dans les rues. Et il n'y avait que Maxime pour s'en apercevoir.
Il n'y avait que lui pour en souffrir à ce point.

Le Chant du RhinocérosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant