3 - Une cigarette et des étoiles

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Maxime finit ses devoirs avec rapidité et désintérêt. Il entendit son frère se préparer au départ alors que la voiture de son père venait d'entrer dans l'allée du garage.
Exténué, il n'allait pas venir embrasser Maxime. Il allait, comme tous les soirs, s'asseoir à table, manger ce que sa femme lui donnerait, ouvrir une ou deux bouteilles de bière et il se posterait ensuite devant la télévision pour regarder les épisodes de sa série du lundi. Le tout, les pieds déchaussés, le front en sueur et avec un terrible mal de dos. C'était ainsi tous les soirs, et tous les soirs, Maxime ouvrait la fenêtre de sa chambre et allumait une cigarette volée dans le tiroir de son frère avec un briquet qu'il avait trouvé par terre. Si ces parents savaient qu'il fumait, ils l'auraient déjà tué.
Mais ça ne l'empêchait pas de le faire tout de même. Il en avait besoin pour décompresser. La toxine le calmait. La fumée dénouait ses pensées.
Shu. Trois lettres suffisaient pour nommer une fille qui valait beaucoup plus. Comment sa famille avait-elle atterri dans cette ville ? Il y avait déjà un restaurant chinois mais le couple n'avait pas d'enfants à scolariser. La famille de Shu était discrète. Tout comme elle d'ailleurs. Elle semblait aussi muette que Maxime par moment. Dommage, elle avait une douce et agréable voix féminine. Elle portait aussi l'enivrant parfum d'un bouquet de pivoines, il venait de se rendre compte qu'il s'en souvenait. Et ce n'était pas tout. Ce qu'il aimait le plus chez elle, c'était ses doigts. Des os fins qu'une peau délicate et très blanche entourait. De longs ongles roses qui caressaient les touches du clavier lorsqu'elle jouait au piano. Des doigts qui semblaient si fragiles, mais qui ne se brisaient pas même sous les notes les plus difficiles. Peu importe ce qu'elle avait sous les mains, cela devenait aussitôt magique et poétique.
La fenêtre en face de la sienne avait les rideaux  fermés, un peu comme les habitants lorsque Maxime marchait dans la rue. Peu d'entre eux savait parler la langue des signes... Et quelle atrocité d'utiliser le verbe "parler" pour un langage de muet. Mais le monde était ainsi fait. Ce n'était pas les autres qui ne le comprenaient pas, mais lui qui ne comprenait pas les autres. C'était pourtant simple. Il ne gâchait jamais sa salive. Ne se plaignait pas. Ne criait pas pour se faire entendre. Ne riait pas aux plaisanteries. Ne récitait pas de prières ou de poèmes. Ne chantait pas à Noël, ni aux anniversaires. Ne complimentait pas ceux qui attendaient des critiques. Ne mentait pas, ni n'était hypocrite. Ne saluait pas, ni ne remerciait. Et quand sa mère lui disait qu'elle l'aimait, il ne pouvait répondre qu'avec des signes. En soi, il ne disait pas "je t'aime". Or, il aimait. Il aimait et le fait de ne pouvoir le dire le dévorait de l'intérieur. C'était injuste. Car ceux qui avaient le droit de dire leur amour avait aussi le droit de dire leur haine. Maxime n'insultait pas, ni ne provoquait. Il lui arrivait souvent de penser que seuls les personnes méritant d'aimer devraient avoir le droit de parler. Mais il ne faisait pas le monde, ni la société.
En soi, Maxime se taisait. Même quand il avait envie de pleurer, et Dieu savait qu'il avait déjà versé de nombreuses larmes. Même quand il avait envie de crier contre le monde. Même quand il avait envie de rire des idioties de l'être humain !
Shu. Elle ne parlait presque jamais et pourtant, il fallait être aveugle pour ne pas voir qu'elle débordait de vie. Son regard était un torrent d'émotions à chaque fois qu'il posait ses yeux sur elle. Sage comme une image, Maxime était pourtant sûr que ses pensées étaient celles d'une pécheresse. Belle comme un ange, il mourrait d'envie de savoir si ses baisers étaient aussi démoniaques que l'amour qui grandissait en lui.
Demain. Oui, demain, il irait la voir, il s'en faisait la promesse.
Et alors que sa cigarette se consumait lentement, il leva les yeux au ciel et fixa les étoiles.
Le seul moyen d'arrêter de penser à elle était de voir l'indignation ou le mépris dans son regard lorsqu'il irait la voir. Mais si c'était de la pitié qu'il allait y avoir, alors ce serait définitivement fini. Et pas seulement avec l'amour ou son idée. Mais avec la vie et ses défauts.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 05, 2017 ⏰

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