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Darling, à table ! 》

Une douce odeur flotte dans la demeure lacustre. Et un silence presque surnaturel y règne.
Il fait frais, et terriblement humide, si bien que les plafonds sont tâchés par ce qu'on devine être des écoulements d'eau.

Au balcon du premier étage, une jeune femme expire une longue bouffée de fumée.
C'est l'appel de la faim qui pousse finalement Ezana à quitter sa contemplation du paysage.
Elle fait glisser nonchalamment sa cigarette à moitié entamée dans une bouteille d'un alcool étranger qui traînait là, faisant désormais office de cendrier. Puis elle saisit la bouteille par le goulot, referme la fenêtre, et quitte la pièce dans un soupir.

《 Si tu traînes trop, je donne ton repas à Gustave ! prévient la voix. 》

La jeune femme se dirige vers la pièce d'où provient une senteur si appréciable. Elle descend finalement au rez-de-chaussée, et s'assied péniblement devant le comptoir en acajou sombre de la grande salle.
Des dizaines de tables accompagnées de leurs chaises sont disposées ça et là, et le couvert y est déjà dressé. Des serviettes de table aux décors bariolés sont délicatement pliées à côté de chaque assiette, en-dessous des couverts rutilants. Viennent relever le tout de jolies bougies colorées aux formes diverses et variées.
La bonne odeur persiste dans cette salle de restaurant.

Derrière le comptoir où trône Ezana, un jeune homme à la peau et aux yeux d'ébène s'active. Sa chemise rose saumon est humide, collée à son dos. Il se retourne, détaille la jeune femme des yeux, puis lui tend une fourchette en plastique blanc.

《 Désolée Darling, les couverts sont au lave-vaisselle, se justifie-t-il. 》

Ezana acquiesce d'un mouvement de tête. Elle saisit la fourchette et baisse les yeux vers son plat. Gratin de légumes.
Elle pique sans plus attendre un morceau de brocoli qu'elle enfourne en silence dans sa bouche.

L'homme est occupé à passer le balai, tout autour d'elle. De temps en temps, elle pivote, assise sur sa chaise de bar métallique, et l'observe au travail. Il semble pensif.
Elle mâche sans réfléchir, ses yeux cherchant simplement à comprendre ce qui se trame derrière le masque perplexe de l'homme.
Son regard rencontre les aiguilles d'une grande horloge pendue à un mur, indiquant quinze heures.

Ezana termine rapidement son plat, puis va jeter la bouteille où traîne son dernier mégot, dans une poubelle de l'autre côté du comptoir en bois.
Et avant de quitter la salle de restaurant, elle s'arrête au niveau de l'encadrement de la porte :

- Reho' ?

Le jeune homme cesse de frotter le sol et se retourne.

- Eza', répond-il sur le même ton.

- C'était pas trop mauvais. 》

Darling, on n'est pas OrdinaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant