Aimless

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            Ces jours-ci, plus rien n'allait dans la vie de Niall. À vrai dire, tout cela durait depuis longtemps, cet état de passivité qui envahissait chaque parcelle de peau du petit blond. Il était comme ces mimes que l'on voyait feindre d'être enfermés dans des boîtes invisibles, suscitant l'admiration de leurs spectateurs, sauf que sa boîte à lui était bien réelle et elle ne cessait de rétrécir. Aucun son, aucune pensée, aucun appel à l'aide ne parvenait à en traverser les parois. C'était sa barrière à sentiments. Il n'éprouvait plus rien qui puisse s'apparenter de près ou de loin à autre chose que du vide et il ne laissait plus rien rentrer. Il était entièrement isolé.
            Sa vie était devenue une routine. Il se réveillait tous les matins face à une nouvelle journée et il se couchait tous les soirs, sans savoir ce qu'elle lui avait apporté. Tout ce qui se déroulait entre ces deux moments lui échappait. Intérieurement, il était absent.
            Niall suivait des études de droit, bien que ce domaine ne l'intéresse absolument pas. Jusque là il réussissait, alors à quoi bon chercher ailleurs ? Il n'avait nulle part d'autre où aller, et il s'en fichait. Tout cela était inutile, de toute façon. Il s'entendait plutôt bien avec ses camarades de classe et pourtant, il ne se sentait pas intégré et ne cherchait pas à l'être. Toutes ces conversations n'étaient que du vide, tout comme ses cours. Il répondait machinalement, parce que c'est comme ça qu'il devait agir en tant que personne "normale". Même si au final, il n'en avait pas grand chose à faire de ce que pouvaient penser les autres. Il ne savait pas quoi penser lui-même.
            Cependant, même si le jeune blond jugeait son existence parfaitement inutile, il n'avait jamais réellement songé à y mettre fin. Ça aurait blessé son entourage, peut-être même ses camarades de classe ou ses voisins, et le blondinet inutile et sans importance serait alors devenu une source de tristesse, ce qui était bien pire encore. Il préférait sa solitude, son imperméabilité sentimentale, à l'idée même de faire souffrir une âme qui ne soit pas la sienne.

            Parfois, quelqu'un venait frapper aux vitres de sa boîte. C'était le cas de Noah, un garçon au naturel extraverti qui partageait presque tous ses cours. Niall l'aimait bien, mais il était comme tous les autres. Il était gentil avec le blond parce que c'était une commodité et non pas parce qu'au fond de lui, il en avait réellement envie. Niall s'était fait à cette idée, comme à tout le reste. Comment tous ces gens pouvaient-ils l'apprécier tel qu'il était alors que cette boîte les empêchait de l'atteindre ? Ils avaient beau le voir, il leur était impossible de le toucher alors ils finissaient par passer leur chemin. Comme toujours. Bien sûr, le jeune blond aurait très certainement eu la même réaction qu'eux ; à quoi bon s'acharner à essayer de saisir un objet lorsqu'on le sait hors de portée ? Mais quelque part dans cette petite boîte presque vide, il y avait un tout petit espoir. Une toute petite partie de cet être dépourvu d'émotions espérait que quelqu'un essaierait, que malgré les parois dans lesquelles il était emprisonné, une personne, n'importe qui, entreprendrait de venir le sortir de sa léthargie. Ne serait-ce qu'une seule fois. Si cela échouait, ça lui était égal. Mais Niall aurait aimé pouvoir se dire qu'au moins, ce n'était pas faute d'avoir essayé.
            C'est ici qu'intervenait Noah.
            Aux alentours du mois de novembre, il commença à s'asseoir de plus en plus près du blond qui, au départ, n'y fit pas attention. Chacun s'asseyait où il le voulait après tout, et le métis n'y faisait pas exception. Mais l'écart réduisait lentement, jusqu'à disparaître entièrement.
            S'il n'avait été question que d'une variation de distance, cela n'aurait eu aucun impact sur la vie du jeune blond. Cela n'aurait été qu'un détail sans réelle importance au beau milieu de ce vide qui constituait la majeure partie de son existence. L'équivalent d'une simple molécule à l'échelle de l'Univers. Mais l'approche de Noah n'était pas simplement la diminution progressive du nombre de chaises entre leurs deux corps car en réduisant cet écart, le métis venait frapper un peu plus fort contre la paroi de verre qui le séparait de Niall. À l'aide de mots, il cherchait à creuser des failles dans cette boîte invisible, petite mais solide, qui maintenait tous les aspects personnels du blond hors de sa portée. Il cherchait à réveiller le tout petit espoir caché.

            Plus les jours passaient et plus Noah faisait trembler les parois de verre qu'avait érigées Niall. Ce qui n'était au départ que de légères secousses à peine perceptibles évolua peu à peu en gigantesques séismes, et même le minuscule espoir caché du blond s'était mis à tambouriner contre la paroi de toutes ses forces. Il voulait sortir, il voulait entrer en communication avec l'extérieur, mais tant que la boîte entourerait Niall de ses gros bras de verre, sa voix demeurerait inaudible. Et ça, Noah l'avait sûrement compris car malgré le mutisme du blond, il ne cessa d'essayer de se nouer d'amitié avec ce dernier. Il pouvait sentir les parois trembler et lutter contre lui, le petit blond lui résistait de toutes ses forces tandis que le petit espoir tentait désespérément d'aider le métis. Si bien qu'un jour, la boîte finit par céder.
            Les épaisses plaques de verre se brisèrent, donnant naissance à des dizaines de débris qui éclatèrent à leur tour en centaine puis en milliers d'autres, faisant de la cage un petit ilôt en sable de verre. Le métis s'y écorcha sûrement un peu les pieds mais il ne fléchit pas un seul instant lorsqu'il décida de rejoindre le nouveau petit domaine de Niall pour le protéger du choc. C'était nouveau pour le blond. Pour la première fois depuis bien trop longtemps, quelqu'un prenait soin de lui. C'était un sentiment fort agréable que de se loger dans les bras de quelqu'un, en particulier lorsque cette personne vous portait comme si vous étiez la personne la plus précieuse du monde. Niall y serait bien resté toute sa vie.
            Cependant, lui qui avait passé la majeure partie de sa vie à marcher sur une plaque de verre solide et sans accrocs était loin d'imaginer que les débris qu'était devenue sa boîte puissent être douloureux. Le métis le portait toutefois sans se lamenter sur son propre sort car, après tous les efforts qu'il avait fournis pour briser la boîte du petit blond, il n'était pas surprenant que la sortie en soit tout aussi pénible.
            Il n'était jamais facile de sauver une vie de l'extrême solitude qui l'avait envahie.
            Noah fit preuve de beaucoup de patience et, bien que la compagnie du jeune blond rende l'attente un peu plus tolérable, la douleur ne passait pas. Niall lui paraissait à chaque instant peser un peu plus lourd et progressivement, il sentait ses pieds s'enfoncer plus profondément dans l'îlot de verre. C'était comme marcher sur des milliers de minuscules aiguilles simultanément, il pouvait sentir la douleur remonter jusqu'à sa poitrine par vagues rapides et régulières. Lorsque le supplice lui devint insurmontable, il supplia le blondinet d'accepter de quitter l'île avec lui. Pour Niall, c'était inenvisageable. Il craignait que son sentiment de sécurité ne s'envole au moment même où il s'échapperait de l'îlot de verre.
            Il fallait pourtant bien moins que cela pour détruire la bulle de quiétude qui entourait le blond.
          Noah s'était attaché à Niall. Énormément. Mais, si certains sacrifices s'avéraient parfois nécessaires, d'autres n'en valaient pas le prix. Et celui-ci dépassait de bien loin les limites que s'était fixées le métis.
             Alors tout à coup, il cessa de lutter.
         Il laissa le petit blond retomber sur son sol de sable aiguisé avant de quitter l'île d'un pas maladroit auquel le contraignaient ses plaies. Il avait surestimé ses capacités à aider les âmes solitaires et comprenait maintenant que parfois, la bonne volonté ne suffisait pas. Parfois, il fallait savoir s'arrêter avant d'avoir été entièrement consumé, même si cela n'avait pas que de bons côtés.

           La chute avait été rude pour Niall mais au fond, une petite part de lui s'y attendait. Il ne fallait jamais se fier entièrement à un petit espoir caché, c'était dangereux et il le savait. Et pourtant, cela ne l'avait pas empêché lui faire confiance. Il était désormais tout écorché mais il l'avait bien mérité.
              Il en revenait presque à regretter sa prison de verre.  
             Il se munit alors de toute sa patience et se mit à rassembler les débris un par un afin de reconstruire une boîte, plus petite et plus solide encore que la précédente. Maintenant que le petit espoir s'en était allé, plus rien ni personne ne pourrait la briser.

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