Le destin, ou le hasard dira-t-on, m'avait fait prendre un itinéraire contraire à celui que j'utilisais habituellement. Perdu. Totalement. Dans mes pensées nocturnes et dans un état d'ébriété relativement avancé, je m'étais trompé de direction et avais erré un moment dans le nouveau quartier que j'habitais.Lorsque l'on est ivre, notre perception du monde est différente et nos sens, bien qu'en exergue, sont parfois erronés ; alors peut-être dans mon état habituel n'aurais-je pas même fait attention à ce sac, mais me voilà. Titubant. Les sourcils en accents circonflexes (disparus de notre langue maternelle) pour tenter de décrypter le panneau signalétique au bout de la rue, quand je l'ai aperçu.
Ce foutu sac.J'ai immédiatement et curieusement eu l'impression qu'il m'attendait. Innocemment. Posé ainsi, sur le banc de cet arrêt de bus. Après avoir marqué un temps d'arrêt, je me suis approché avec hésitation et déchiffrais "Beaux arts" sur l'écriteau haut perché.
Dans cet océan de whisky qui semblait flotter dans mon cerveau, seules deux informations semblaient me parvenir (à peu près) clairement. La première, c'est que j'étais dans la bonne direction puisque j'habitais l'avenue principale qui traverse les beaux arts de bout en bout. La deuxième, et bien, j'avais trouvé un sac à main. De femme.
C'était un joli sac noir de taille moyenne, dont j'apprendrai plus tard que la terminologie exacte est celle d'un « cabas » en cuir. Effet crocodile. Non pas que cela soit important, d'ailleurs.
Timidement et avec maladresse, comme lorsque j'aborde une femme, je me suis assis à ses côtés et l'observais avec une attention inquiétante.Après avoir regardé furtivement autour de moi et constaté que j'étais bien le seul idiot éméché encore debout dans le coin, je finis par m'en saisir.
Je le posais sur mes genoux et caressais doucement les contours de la fermeture éclair, assailli par une multitudes de questions et réflexions en tout genre, plus ou moins cohérentes. Comment ce sac s'était-il retrouvé là ? Pourquoi personne ne l'avait-il pris avant ? Contenait-il de l'argent ? Des objets de valeur ? Une bombe ? ...Bin quoi, ça craint parfois cette ville. Et puis c'est bien un truc de gonzesse ça, d'oublier son sac à un arrêt de bus.
Est-ce qu'elle habite le quartier ? Est-ce qu'elle est ivre elle aussi ? Célibataire ?J'avais l'impression d'être un gosse sur le point de faire une bêtise. Non pas que mes intentions étaient mauvaises, car à dire vrai j'avais un mal fou à réfléchir. Putain, quelle soirée, tout de même. Ne pouvant plus tenir, je me décidais enfin à l'ouvrir, cet objet de convoitise, et plongeais littéralement ma tête de vieux soûlard dans l'intimité la plus profonde d'une jeune fille, jusqu'alors inconnue.
Après le contact froid du cuir sur ma peau, mon odorat fut le deuxième sens à être titillé par ma trouvaille. En plus du cuir il se dégageait du fond du sac, un parfum de femme. Gourmand et sensuel à la fois, j'inspirais à plein poumon ce curieux paradoxe fait de poivre, de fleur d'oranger et de patchouli.
Le nez toujours aussi fin malgré les (quelques) verres de whisky, je détectais là le parfum d'une femme de caractère.Rêveur, je fermais les yeux un instant me laissant aller à toutes sortes de pensées voluptueuses, voire scabreuses. Les courbes d'une femme se formaient et se déformaient à ma guise me laissant seul, pantelant, assis vers 4h30 du matin à cet arrêt de bus, un sac de femme entre les mains.
Après un léger début d'érection, dont je me félicitais tout de même, étant donné mon taux d'alcoolémie et ma difficulté habituelle à y parvenir dans cet état lamentable, je retrouvais finalement un semblant de "raison". J'avais froid et je voulais rentrer. Retrouver la chaleur de mon foyer à défaut de celle des bras d'une femme.Et puis, en y réfléchissant, je ne rentrais pas vraiment les mains vides. Sans me poser plus de question, je bondis sur mes pieds en passant le cabas sur mon épaule, comme il se doit d'être porté mais non pas sans ridicule sur moi. J'en conviens. Curieusement, miraculeusement même, j'avais retrouvé sans mal mon chemin depuis le fameux arrêt de bus.
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Le cabas de Jolene
Conto" Il existe un moyen très simple de vous plonger dans l'intimité d'une fille ; il vous suffit de trouver son sac à main "