Draconistes

III. Etrangers

Asthar

Le repas est frugal. Je commence à regretter la cantine de Tohrin Mar en toisant ma gamelle pleine de soupe grumeleuse. Je ne sais même pas ce que je suis en train de manger, mais je n'ose pas me plaindre.

Les Draconistes discutent entre eux, et la première chose que j'ai découvert est qu'ils ont un dialecte particulier, qu'ils utilisent apparemment pour discuter en mettant à l'écart les étrangers. Ce qui est frustrant, c'est que ça ressemble exactement à notre langue, sauf qu'on n'y comprend rien, comme du yaourt.
Mais ils rient ensemble, ils ont une vraie discussion, alors cela ne peut pas être juste pour se moquer de moi.

Alors que je me sens plus seul que jamais, je veux en finir avec ma gamelle avant d'aller me coucher. Cependant, Sandor arrive en se dirigeant vers moi, son crâne reflétant les flammes du camp.

"Alors, tu reprends des forces, Scribouilleur ? Me dit-il avec une voix qui se veut sympathique, mais qui ne fait que me terrifier depuis que je sais qui il est.

- Je m'empressais de souper avant d'aller dormir, Seigneur Ventvif, répondis-je maladroitement.

- Seigneur ? Répète Sandor en réprimant un rire, garde ça pour les gens de Tohrin Mar, Scribouilleur! Ici, nul seigneur ne se balade à l'air libre. Tu peux m'appeler Sandor, ou Ventvif, mais évite les messieurs et les seigneurs. Je ne suis pas le souverain des Draconistes.

- Bien, sei... Ventvif, bredouillais-je. Je m'appelle Asthar de Minthe. Je suis honoré de faire votre connaissance.

-Je sais qui tu es, jeune scribouilleur, le message de ta cité était claire. Je doute, cela dit, qu'on t'ait expliqué comment nous fonctionnons, nous, les Draconistes. Tu comprends bien que si aucun étranger n'a pu voir les cimes des montagnes, ce n'est pas un hasard. Et nous n'apprécions guère les espions, les rapporteurs, les gens d'en-bas comme toi et les pseudo-érudits persuadés de tout savoir. Je n'essaie pas de t'insulter, tu es encore bien jeune pour souffrir du mal des tiens. C'est pourquoi on t'offre une chance de venir voir. Mais c'est selon nos conditions. Comprends-tu?"

J'acquiesce d'un signe de tête, bien trop intimidé pour parler.

"Aussi, tu seras préparé. Tu dois convaincre une Aînée d'accepter ta présence en haut.

- Comment puis-je convaincre quelqu'un qui n'est pas descendu à l'avant-garde ? "

Sandor Ventvif lève les yeux au ciel, comme si je venais de l'agacer par ma stupidité. J'ai peut-être peur de lui, mais je sais très bien que je ne suis pas stupide ! 

Je commence à me vexer et je compte répliquer quelque chose quand j'entends quelqu'un s'approcher de nous, un cliquetis bien reconnaissable d'armure Draconiste suivant l'inconnu.

Ou inconnue, en fait. La plus belle des inconnues que j'ai jamais vu. Avec un regard si perçant qu'on croirait des yeux de dragon. De couleur émeraude, ses yeux. Et étincelants. La peau hâlée, de longs cheveux sombres ondoyant dans son dos, des pommettes joliment colorées et des lèvres pleines et charnues. Son armure dissimule difficilement une femme bien faite, qui me dépasse d'une demi-tête. Je ne suis peut être pas très grand, mais je ne pensais pas que les femmes Draconistes soient aussi grandes !

Elle me dévisage aussi, mais avec dédain, non avec intérêt. Elle détourne les yeux vers Sandor et parle avec la voix la plus rauque que j'ai jamais entendu chez une femme, me rendant guimauve rien qu'à l'entendre.

" Père, est-ce lui ?"

Il acquiesce d'un signe de tête en lui donnant mon nom. Elle plante alors son regard dans le mien et me dit d'un ton si tranchant que j'ai cru qu'elle me coupait en deux.

"Asthar de Minthe. Tu ne verras jamais la Cîme de ces montagnes. Rentre chez toi."

Elle part dans le halo sombre de sa chevelure, m'abandonnant là comme laissé pour mort.
J'entends la voix de Sandor derrière moi, prononçant des paroles qui achève de me tuer.

" Ma fille est une Aînée. Elle se nomme Aëna Rouge-Crépuscule. Si tu arrives à la convaincre de te montrer la Cîme, alors aucun Draconiste ne te méprisera plus. Et tu seras le premier étranger autorisé à approcher notre peuple dans l'Histoire des Couronnes."

Je déglutis. 

Je suis foutu.