Merci la vie

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Merci la vie (collage autobiographique)

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Merci la vie (collage autobiographique)

Le texte suivant, intitulé Merci, est de l'écrivain Christophe Manon. Il a été publié dans la revue Mouvement, n°85 (mars-avril 2016). Je le partage parce qu'il m'a touché, parce que je ne saurais mieux dire, et parce qu'il correspond à des pans de ma vie, de mes opinions, de mes pensées. Parce qu'il parle aussi de nos colères et de nos fragilités. J'espère que vous l'apprécierez.


Merci

Je voudrais remercier celles et ceux qui ont humilié ma mère et l'ont piétinée comme une vieille paillasse, la blessant dans son esprit et dans sa chair. Ainsi a-t-elle appris à encaisser en silence et à courber l'échine, ainsi a-t-elle conçu une morale servile. Je l'ai vue souffrir et je leur en ai voulu et je lui en ai voulu de se laisser maltraiter de cette façon et elle s'est efforcée à son tour de m'inculquer les vertus de la soumission, que pouvait-elle faire d'autre? Merci à mes voisins qui gueulent à longueur de journées sur leur petite fille et la laissent pleurer pendant des heures, la nuit, sous prétexte de lui apprendre à ne plus avoir peur. Maman, maman, hurle-t-elle, j'ai peur, maman, et personne ne vient. Paix à leur âme, même s'ils ne sont pas encore morts. Merci aux professeurs et aux instituteurs qui enseignent aux enfants la crainte de la connaissance et le dégoût du savoir et de ceux qui les possèdent. Merci également à ceux qui imposent leur volonté par la force ou qui cognent sur de plus faibles qu'eux. Merci aux persécuteurs et aux persécutés, merci. A celui qui abuse d'un être humain ou d'un animal, je dis merci. Merci au monde d'être ce qu'il est, ainsi ma rage demeure intacte. Jamais je ne l'abandonnerai; elle est vitale pour moi et me structure. Vive les tortionnaires, vive les brutes, vive les violents, vive les envieux, vive ceux qui sont animés par un désir de vengeance et ceux qui subissent en silence, tête basse, vive les puissants et les oppresseurs, ainsi, grâce à eux, mon amour décuple. La détresse humaine est si grande que je voudrais la caresser avec des mots pour la consoler et même si je sais que c'est une entreprise absurde et vaine, je continue car c'est ma façon de protester. L'une de mes plus grandes sources de satisfaction est de savoir que les traîtres, les bourreaux et les accapareurs meurent aussi. Qui nous délivrera du mal? Le mal n'existe pas et ce n'est pas du mal dont nous sommes victimes mais de nos turpitudes. J'aime savoir qu'il y a du pire parce que le meilleur est toujours possible. J'aime savoir que je suis las parce qu'ensuite je me réveillerai plein de vigueur. Je connais des centaines de désirs inassouvis et je proteste. Je connais des centaines de personnes brutalisées et je proteste. Je connais des centaines de désirs brutalisés et je proteste. Je proteste lorsque j'écris et je proteste lorsque je me laisse aller, je proteste lorsqu'un injonction m'est faite, particulièrement, la pire d'entre toutes, celle de rester à la place qui m'est assignée. Un jour, j'ai vu ma mère rentrer du travail en pleurant parce que ses employeurs l'avaient humiliée, et je n'oublierai jamais cette scène. Un jour, j'ai vu un type battre un animal, et je n'oublierai jamais cette scène. Dans tous ces cas, je n'ai rien fait, tant j'étais pétrifié par ce que je voyais. Un jour, j'ai vu ma grand-mère en compagnie de gens infiniment plus riches et plus cultivés qu'elle, et je n'oublierai jamais comment elle se tenait avec humilité dans un coin sans oser dire un mot, alors que personne ne lui prêtait la moindre attention. Je ne veux pas rendre oeil pour oeil. Je ne veux pas rendre dent pour dent. Les situations pénibles que j'ai vécues, je ne souhaite pas que d'autres les vivent. Je n'ai pas soif de vengeance, mais j'ai soif de justice. Je n'oublierai pas non plus les moments d'amitié fraternelle ni les accolades ni les paroles chaleureuses ni les larmes ni les baisers ni les gestes de tendresse où les hommes, parfois, dans leur fragilité, font preuve de grandeur. Je remercie les livres que j'ai lus de m'avoir permis un tant soit peu de m'émanciper. Je remercie mes amis d'accepter mes faiblesses comme j'accepte les leurs, sans commentaire ni jugement. Il y a beaucoup de grâce sur cette terre malgré toutes les horreurs qui y sont commises. Je ne suis pas dégoûté des hommes ni du monde comme-il-va; au contraire, je trouve leurs imperfections d'une grande beauté et je les en remercie.

Christophe Manon, écrivain (texte publié dans la revue Mouvement, n°85 - mars-avril 2016)

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