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- Je dois aller au Vietnam.

Heath me dit ça, un matin de janvier, tout en buvant le café de la cafétéria et en lisant le journal du lycée de la semaine. Je le regardais avec stupéfaction, la bouche grand ouverte et les yeux écarquillés. Lui par contre ne semblait pas contrarié par la révélation qu'il venait de me faire. Il avait cet air calme et nonchalant, les traits de son visage était détendus. Il n'avait même pas levé les yeux jusqu'au moment où il réalisa que je n'avais pas prononcé un mot et qu'un long silence s'était installé entre nous.

- Ne me regarde pas comme ça, s'exclama-t-il en voyant mon teint livide, je ne pars qu'une semaine ! Tu n'auras même pas le temps de dire "ouf" que je serais déjà de retour pour t'embêter. Et puis entre tes révisions pour les examens et les cours, tu n'auras même pas le temps de remarquer mon absence.

- Mais tu pars combien de temps ? Tu vas faire comment pour les cours ? m'affolai-je sans prendre en compte de ses remarques qui avaient pour but de m'amuser.

- Ne t'inquiète pas June, je ne pars qu'une semaine dit-il avec un soupire , tu te souviens du job que j'ai obtenu cette été à Baltimore ? Et bien apparemment, mon responsable a été plutôt impressionné par l'article que j'avais présenté et lorsqu'on lui a dit qu'il fallait faire une interview sur quelques vétérans de la guerre d'Indochine, il a tout de suite pensé à moi. Il m'a envoyé un email pour savoir si ça m'intéressai -auquel j'ai bien évidemment répondu positivement- puis il a immédiatement téléphoné à mes parents pour leur expliquer toutes les démarches à suivre et pour les informer que toutes les charges de transport, d'hébergement et de repas étaient à la charge de la compagnie.

- C'est une superbe opportunité, heureusement que tu as accepté ! Et tu pars quand ? Lui dis-je inquiète.

- Dans trois jours, répondit-il avec son grand sourire éclatant, celui que j'ai toujours aimé, celui qui m'a fait succomber à son charme.

- Mais il y a les examens qui arrivent la semaine prochaine ! M'exclamai-je surprise, comment vas-tu faire ?

- J'ai prévenu le lycée et ils m'ont proposé de le passer avant de partir donc ... demain.

 "Demain". Cette réponse ne semblait pas le perturber le moins du monde. Bien au contraire, il ne s'en préoccupait pas étant donné que la seule chose qui captivait son attention était ce stupide journal. Les seules choses que l'on pouvait y trouver, c'étaient tous ces ragots non-fondés qui circulaient parmi les nombreuses fouineurs du lycée. Par de très rares occasions, il y avaient aussi les critiques de film qui étaient sortis le mois dernier et qui avaient été laissées sur un coin du bureau jusqu'à ce qu'une personne intelligente fasse un peu de ménage et par miracle retrouve les petit mot, ce qui expliquait ce long délais. Je pensais donc que c'était l'unique raison qui poussait Heath à lire ces quelques pages car m'ayant moi-même imposais une fois de le feuilleter, je savais qu'il ne fallait pas cinq minutes pour avoir envie de jeter ce torchon à la poubelle . Puis quand Heath eut fini de consulter les actualités nous reprîmes la discussion que nous avions commencé concernant sa prochaine aventure. Il était vraiment content de pouvoir partir et si l'heure des cours n'était pas arrivé aussi vite, il aurait pu en parler des heures entières avec cette même énergie. Soudain,  lorsque Heath me laissa seule à la table de la cafétéria, je réalisai qu'il ne m'avait prévenu qu'à la dernière minute. Cette pensée me plongea dans une réflexion soudaine mais je finis par me dire que s'il ne m'avait rien dit jusque aujourd'hui, c'était sûrement pour une bonne raison et que s'il ne m'avait pas informé de son départ, personne d'autre ne devait être au courant . En faite je détestais être ce genre de fille, celle qui collait son copain au point de le rendre fou, celle qui piquait une crise de jalousie dès qu'il parlait à une autre fille. J'avais pris pour habitude de le laisser respirer, de la laisser tout simplement vivre car je savais qu'il en avait besoin. Heath était une personne très douce, très gentille mais il avait besoin d'avoir son espace, d'avoir ses moments de tranquillité et de solitude. Parfois il partait deux ou trois jours sans dire à personne où il allait. Et il revenait, plus fatigué que jamais mais beaucoup, beaucoup plus heureux. Il donnait encore plus de douceur à ses amis et à sa famille. C'était son caractère. Il m'acceptait comme j'étais et je l'acceptais comme il était.

Après une quinzaine de minute à rêvasser, je me levai de ma chaise, me hâtai de poser mon plateau et filai à travers les couloirs pour rejoindre mes cours de l'après-midi. En arrivant devant la porte de la salle, je croisai Sam et Ashley, deux amis que j'avais eu la chance de rencontrer en début d'année. C'était des personnes calmes qui avaient le même état d'esprit que moi et il me semblait que c'était pour cette raison que nous nous étions tout de suite bien entendu. Nous partagions tous nos avis, nos points de vue et non sentiments personnels. Nous rentrions dans la salle de cours après un bref salut et quelques échanges. L'heure passa vite. Très vite en rêvassant.

Dès la fin des cours, je rentrai chez moi en bus. J'essayais de perdre le moins de temps possible. Étant une personne très anxieuse, je révisais plus qu'il ne fallait, plus que je ne pouvais. La raison de ces révisions intensives n'étaient pas dû au faite que j'avais de mauvaises notes, loin de là, mais quand je faisais des exercices de mathématiques, je me rassurais en quelque sorte. J'avais l'impression de ne plus penser et ça me faisait énormément de bien. Les journées étaient donc bien évidemment très fatiguantes entre les cours et les révisions pour les examens.

- June, tu descends manger avec nous. Maintenant, cria une voix.

C'était un ordre non-discutable. Il m'était imposé tous les jours par ma mère qui veillait à ce que j'ai des moments de pause. Elle me connaissait trop bien pour savoir que si personne ne me rappelait l'heure, je ne mangerai pas, ni ne dormirai.

- J'arrive, répondis-je calmement en sortant de mon état de trans.

En arrivant en bas, ma famille préparait le repas. Chacun s'attaquait à sa tache contrairement à moi, qui les regardait comme une abrutie. Ma famille était banale, simple mais elle était heureuse. Honnêtement j'aimais beaucoup ma famille mais je me sentais mieux au lycée. J'avais l'impression d'être moi même. Et puis je ressentais un certain malaise que je ne pouvais pas expliquer. Enfin tout le monde se mit à table. Personne ne parla. Tout resta très silencieux. Un silence pesant, lourd, infini qui se prolongea tout au long du repas. Pourquoi ce silence ? Je ne savais pas. La seule chose que l'on entendait c'était le bruit des fourchettes qui raclaient les assiettes. Un bruit gênant, presque angoissant. L'eau du pichet qui coulait dans le verre de mon père. Assourdissant. Ma tête me faisait mal. J'avais le tournis. Je me levai.

- Je vais me coucher, dis-je apparemment très fort lorsque je vis mes parents faire un bond sur  leur chaise.

-Bien, dit mon père en me regardant avec des grand yeux et en haussant la tête.

Je montais les escaliers deux à deux, très rapidement, avec pour seul but d'atteindre ma chambre. J'ouvris la porte avec fracas puis la fermai automatiquement. Là, adossée contre la porte, je me laissais glisser doucement, simplement, sans réfléchir. Je me sentais lourde. Un poids pesait sur mes épaule mais je ne me reprochais rien. Après tout je n'avais rien fait dans le passé qui méritais un quelconque reproche envers moi-même. Mais dans le futur, aurais-je des regrets ? C'est sur cette question que je me levais, puis gagnais mon lit sur lequel je m'affalais. Quelque chose me disait que le futur ne serait pas bon. Je m'endormis avec ce nœud dans le ventre. Un nœud de peur. Et je savais que rien ne serait plus jamais comme avant .




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⏰ Dernière mise à jour : Jun 30, 2016 ⏰

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