J'entend une Marie pleurer

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"Tu me fait le même effet qu'une plongée dans les abysses."


Les cours d'histoire ont toujours eu un effet dévastateur sur mon humeur. Je ne sais pas, ça me rend maussade.

Le professeur est l'un de ceux ayant un teint blafard, une voix fade et insipide. Il est de ceux qui ont pourrit avec leurs viles années. Le regardant juste lever le bras pour schématiser son explication trop brute, m'étouffe. Comme si, dans sa grande barbe blanche mal fagotée, il y glissait toute l'air que je respirais. Ne parlons pas de ses sandales vieillies, perdant leurs couleurs au fil du temps. J'en vois parfois, s'échapper, comme si toutes les couleurs vives, belles et fortes, essayaient de s'enfuir de cet homme fatigué.

Je m'ennuyais, alors j'imaginais.

Crâne dégarni, c'est la seule chose que j'aime chez lui. Lorsque tu te poses à ton bureau et que celui ci à la lumière du jour, brille au soleil, Crâne d'œuf, c'est la toute ta beauté.
Et je suis sûr que sa femme l'a compris, qu'elle aime le rouge à lèvre pourpre, et qu'elle aime le regarder, comme moi je le fait, elle a un regard rempli d'amour. Elle était une si belle jeune femme, chevelure au vent.
Ils se sont rencontrés à un anniversaire, elle avait 27 ans, et lui 25.
Elle a du l'aimer au premier regard, et lui au deuxième. J'aime son parfum, celui qui enivre, qui reste inscrit dans ta mémoire olfactive pendant toute une vie, voir deux. Cette odeur qui donne chaud au cœur. Oui, j'aime sa femme, mais pas l'homme.

Parfois, je me surprends, comme si, Monsieur FREYNET était moi. Oui, comme si, j'étais l'un de ceux la, écrasé par la lourdeur du temps.

Quand j'arrive à cette conclusion, la plupart du temps je m'enfuis du cours, j'aurais même sauter par une de ces fenêtres.

Ce professeur là ne disait rien, me voyant passer devant son bureau à chaque fois, il détestait le spectacle inutile .

Au début de mes escapades, je descendais les escaliers, en écoutant le silence des couloirs, déserts, et le bruit de mes pas, que je faisais claquer. J'arrivais à une porte souvent fermée pour y garder la chaleur interne communiquée par le corps de ses hôtes.

La pièce aux murs gris, donnait un aspect de grandeur. Au premier coup d'œil, on pouvait apercevoir deux grands piliers, de part et d'autre de la grande bibliothèque du lycée. Le sol, lui, donnait froid dans le dos, étant de couleur pêche miteuse.

Cependant, les tables rondes en bois vernies relevaient le CDI et lui donnait une image douce et chaude où il était bon de s'y détendre. Le long des étagères, des livres de toutes couleurs et formes s'y dessinaient. Ils étaient classés comme à l'habitude, par ordre alphabétique et par genre.

J'avais trouvé, d'ailleurs, une petite chaise  assez confortable pour y passer de longues heures penché sur un livre ou deux, dans un coin retranché où personne ou presque venait y fourrer son nez. J'avais occupé cette place pendant à peu près trois ou quatre mois. Et tout les jours on pouvait me trouver ici, à cette même place. Le plus souvent avec un livre d'Italo Calvino ou un dessin.

Mes habitudes prirent une autre route, un jour de décembre, ou au lieu d'aller vers la bibliothèque, j'ai été las, cherchant un endroit encore plus calme, plus vert aussi, j'avais besoin de plus d'air dans mes poumons, sans doute à cause du « baron perché »...

Dans un couloir du dernier étage, une rambarde au fond s'imposait, mes pieds, claquant toujours le sol glacé. J'avançais, doucement, rentrant en symbiose avec l'air et le temps. J'entendais se mouvoir à travers ce champs de béton et de fer, mon cœur battant, se serrant, divergeant. Mes pas n'écoutaient même plus mes pensées, je me laissais emporter par ce bon vent et je me surpris à croire que c'était un piège. Je ne l'avais jamais remarquer avant, mais, derrière la rambarde, il y avait le vide, et, à quelques mètres de ce vide, il y avait de hautes herbes, à perte de vue. Elles ondulaient au gré du vent, lisses et pures. Elles entraient en harmonie avec mon cœur, dans le sang qui coulait dans mes veines.
Et dans ce tableau, une fille, allongée, presque engloutie par ce tumulte grandissant, dormait, comme une tache de peinture dans les nuances subtiles de vert et de bleu. Elle avait l'âme bleu, le même bleu envahissant de ses cheveux. L'océan nuancé vert m'a violé l'esprit, et depuis, je viens tout les mardis après-midi la regarder en toute impunité.

L'année d'après, nous étions dans la même classe, Terminale, section littéraire. Son charme au loin n'était pas des moindre de près, les joues pâles et les lèvres rosées. J'aurais aimé y déposer un baiser. Les yeux ronds mais fatigués, d'un bleu suaves, nuancés de jaunes, ses billes éclairaient mes nuits. Ses habits n'étaient rien de plus que de fines robes fleuries, ensevelis sous de longs pulls de laine.

Elle fit le premier pas, à ma grande surprise. N'insistant pas plus avec elle avant son pas, je continuais à l'observer dormir dans les hautes herbes le mardi.

Les liens se tissaient, et, sans vraiment nous en rendre compte, nous sommes devenus l'un pour l'autre indispensable, semblables à un vieux chêne tordu enraciné depuis une centaine d'années. J'étais sa terre et elle mes racines. Elle s'enracinait tout autour de mon cœur, dans mes poumons, puis remontait dans ma gorge. Ce fut lent, mais doux. Tendrement, des bourgeons ont éclos. Mon être seul lui contentait, elle dormait souvent dans mes draps, mangeait à ma table, et parlait dans mes pulls lorsqu'elle avait trop froid le soir.

Mais, cette fille là était avide d'un amour, ses racines grandissaient trop vite, et ma terre arriverait vite à saturation. Elle resterait sans doute à mes côtés, mais, j'ose à peine imaginer une Marie de nouveau fanée. Même avec tout l'amour et la passion du monde, ce qui manquait à cette océan déchaîné, c'était l'amour maternel.

Je le savais, car c'était moi qui passait mes nuits à l'écouter pleurer, qui la regardait dans sa maison vide, avancer, limite rampant dans la douche.

Parfois, quand le courage lui manquait, elle me demandait de lui laver les cheveux, l'eau du bain prenait alors la couleur de son sang, bleu. Les sillons coulaient sur son corps maigre, beau, violacé. Elle renfermait en elle tant de beauté, si seulement le monde tendait l'oreille pour l'écouter.
Non, même avec du beau monde, Marie, tout ce qu'elle voulait, c'était voir, en rentrant à la maison, des pièces éclairées et vibrantes, entendre la voix de sa mère chanter le bruit du vent. Elle voulait sentir la brûlure ardente du soleil qui lui servait de mère.

Alors, ce manque béant qui fragilisait un peu plus son âme au fil des années, elle le cachait avec le masque de la haine. Une haine noir et rouge.

« - Est-on obligés d'aimer la mère ?
    -Non, mon océan.»

»

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 01, 2018 ⏰

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