Sky, Chroniques Lunaires

Partie I

Le petit pantin, plein de défauts mais au grand cœur, connaît de bien fâcheuses mésaventures et il est très près de perdre la vie - Pinocchio

Sky cherchait une clef à molette mais il ne la trouvait pas. Il avait la tête ailleurs. Depuis quelques jours, il avait remarqué les regards à peine dissimulés que Mr Kaba lui lançait. L'air suspicieux, comme quelqu'un qui cherche à vérifier quelque chose, son patron l'observait. Au début, Sky n'y avait pas prêté attention. Mr Kaba était un vieil excentrique, ivrogne, caractériel et aigri. Ça ne l'avait pas inquiété, pourtant le patron avait une attitude très étrange, plus étrange qu'à l'accoutumée. Les journées de travail du jeune homme étaient rythmées par les plaintes de Kaba qui trouvait toujours quelque chose à lui reprocher. Mais aujourd'hui, il était muet et continuait à le dévisager d'une drôle de façon. Sky préférait ne pas y songer bien qu'une petite voix dans sa tête lui répétait que quelque chose n'allait pas.

En fouillant dans sa caisse à outils, il trouva enfin la clef qu'il cherchait. Mr Kaba était assis au bureau, en train de gratter sa bedaine à travers un débardeur blanc tâché de sueur. Le vieillard semblait faire ses comptes, mais Sky sentait son regard peser sur lui. Il aurait tout bonnement pu demander à son patron pourquoi il l'observait, quel était le problème, mais Mr Kaba était quelqu'un d'assez imprévisible et il valait mieux ne pas le mettre en colère.

Le jeune homme se dirigea vers le pantin qu'il devait réparer. Le son grésillait mais il n'aurait aucun mal à le rafistoler. Il travaillait dans la fabrique de Kaba depuis l'âge de 12 ans, des années qu'il construisait des robots pour enfant et des jouets électroniques. Aussi, il avait acquis une petite notoriété, il n'était pas le meilleur créateur de jouet de Tokyo pour rien. Sky avait sauvé le commerce de Kaba. Sans lui, la boutique aurait fermé depuis longtemps mais ça, jamais le vieillard ne le reconnaîtrait.

Comme il l'avait imaginé, la carte son du pantin était obsolète. En un tour de vis le problème serait réglé mais il lui fallait une autre carte. Il s'approcha du bureau, hésitant.

- Mr Kaba, j'aurais besoin d'une nouvelle carte son, vous n'auriez pas ça en réserve ?

- Pourquoi t'en besoin hein ? rétorqua le patron, venimeux.

- Pour le pantin électronique qu'on a apporté tout à l'heure, la carte...

- Ne joue pas les malins avec moi, Sky.

Le jeune homme était déconcerté. Il regarda Mr Kaba, interdit.

- Quand je pense que depuis tout ce temps je te fais travailler sous mon toit, poursuivit il, je savais bien que t'étais un vaurien, mais si j'avais su...

Sky ne répondit pas tout de suite. Il comprenait parfaitement à quoi le vieillard faisait allusion, il savait qu'il était un lunaire. Comment l'avait-il appris ? Ça il n'en avait pas la moindre idée. Que pouvait-il y avoir d'autre ?

- Qui vous l'a dit ? demanda Sky.

- Alors c'est vrai, cette cliente avait raison pour toi ! T'es un lunaire ?!

Kaba avait haussé le ton. Sa voix était grave et menaçante et son visage avait pris la teinte écarlate d'une pivoine. Il se leva de sa chaise brusquement et plongea son regard haineux dans les yeux sombres de Sky.

- Ne m'appelez pas comme ça... murmura t'il.

- Et comment doit-on vous appeler ?! hurla Kaba en tapant son énorme point sur la table.

- Je suis une vraie personne, je n'ai même pas de pouvoirs, dit il en soutenant le regard du patron.

- C'est la meilleure ! s'esclaffa le vieux, on aura tout entendu !

Son ton était blessant, volontairement moqueur.

- Je suis une coquille, trancha Sky dont les mains tremblaient de colère.

Mr Kaba ne répondit rien. Il regarda son jeune apprenti avec un mélange de mépris et de curiosité. Sky se sentit comme un insecte répugnant.

- Qu'est-ce que vous comptez faire ? demanda t'il en rompant le silence.

- Ce que je compte faire, ricana le vieillard, ce que j'ai déjà fait plutôt ! J'ai envoyé une comm aux gardes, les thaumaturges vont venir te chercher ! Il est hors de question que je laisse quelqu'un comme toi respirer mon air, je n'ai pas envie de chopper la Létumose, moi !

Pris d'une soudaine panique, Sky lança la clef sur Kaba qui poussa un cri de douleur quand l'outil rebondit lourdement sur son gros visage. Le jeune homme devait fuir. Si le vieux disait qu'il avait envoyé une comm, alors il ne mentait pas. Kaba était peut être une saleté d'ivrogne, mais il n'avait qu'une parole.

Au moment de franchir le seuil, des coups de feu éclatèrent contre la tôle de la fabrique. Sky fit un bon en arrière, sous le rire gras de son patron.

- Tu ne leur échapperas pas, petit lunaire ! cracha Kaba.

Des cris retentissaient dehors. Il courut rapidement vers une vieille voiture terrienne sur laquelle il avait installé un réacteur. Il devait échapper à ses assaillants, partir le plus vite possible. Kaba lâcha des jurons au moment où Sky s'assit dans le bolide. Une dizaine de gardes arrivaient quand il alluma le moteur. Des tirs fusaient et une balle lui érafla le bras. Il saignait mais il n'avait pas le temps de compter ses blessures. S'il perdait une minute, c'est sa vie qu'il perdrait.

La voiture décolla, vrombissante. Il s'envola par une ouverture trop petite et arracha la moitié de la tôle. Les gardes criaient derrière lui, il accéléra au maximum, volant très haut pour gagner de la distance.

Il virevoltait entre les bâtiments de la ville qui s'étiraient jusqu'au ciel, doublant les autres véhicules autant qu'il le pouvait. Il espérait que sa blessure ne soit pas trop grave. Ce bougre de Kaba ! Comment a t'il pu me faire ça, pensait Sky dans une rage qu'il avait du mal à contenir. Il était impulsif et plutôt nerveux de nature. Il n'avait qu'une envie, retourner au garage pour refaire le portrait de son patron. Il savait que c'était impossible, mais l'idée de frapper ce gros porc était réconfortante. Après toutes ces années à travailler pour lui, à supporter son sale caractère, il lui aurait bien mis une bonne droite. Son poing l'avait démangé de nombreuses fois, mais il avait toujours réussi à se contrôler, aussi parce qu'il ne voulait pas attirer l'attention sur lui. Il était une coquille, un lunaire en fuite, il valait mieux rester discret et éviter de s'attirer des ennuis. D'ailleurs il n'avait même pas de puce I.D. sous la peau.

De nouveaux tirs explosèrent dans son dos. Les gardes l'avaient suivi. Il slaloma entre les vaisseaux, se faufila tant bien que mal. Il n'avait jamais conduit comme ça. Il percuta des carlingues de nombreuses fois, tout en ignorant les klaxons qui résonnaient autour de lui. Les gardes le suivaient à la trace, mais ils étaient trop lents. Sky était un sacré pilote malgré la peur qui le dévorait et sa voiture était rapide.

La ville Tokyo était vaste et il réussit à semer les gardes. Il devait trouver un endroit où se poser en attendant que ça se calme et il savait précisément où atterrir.