I. Marie

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" Qu'est ce qu'être, me demanderiez-vous. Qu'est ce qu'il fait que nous sommes nous, et que les autres sont eux, et qu'ensemble nous formons une globalité paradoxal.
Dans notre air, être quelqu'un est quelque chose de très restreint. On peut être quelqu'un, certes. Mais quelqu'un qui rentre dans un certain moule. A la limite, nous nous connaissons mieux par ce qu'il y a écrit dans notre dossier de naissance, que dans notre propre âme. "
Et le débat intérieur dans mon crâne s'acheva sur ces mots.

J'étais assise sur le rebord de ma fenêtre, à quelques étages du bitume me rapprochant plus encore du ciel, face à la lune pleine qui faisait de l'ombre aux lampadaires de la ruelle, clignotants face à elle faiblement. L'été était lourd et amère, et même à 02h11, une gigantesque couverture molletonnée semblait comme me recouvrir, alors que je n'étais qu'en fine robe bleue. Les criquets, ou cigales je n'en sais rien, chantaient bruyamment autour d'un décor, quand à lui, sombre et inaudible.
Je passais en boucle et en boucle dans mon esprit les mêmes affirmations qui revenaient toujours au même point de départ et à la même conclusion : je ne sais pas qui je suis.
Sincèrement. Je n'en sais rien.
Je me cherche, comme on cherche dans un océan vaste et noir. Et tandis que tout le monde autour semble s'être posé aisément sur un quotidien et un avenir qui le rendra heureux, j'avais cette impression pesante d'être un morceau de papier voltigeant au gré d'un ventilateur bruyant, en attendant passionnément que quelqu'un vienne l'éteindre pour moi.
Mais qui, qui est cette personne ?
J'ai beau chercher, remuer ciel et terre dans mon esprit seul, je ne distingue que quelques aventures. Des baisers volés, des paroles envolées. Mais rien de concret, rien de continue. Dans ma vie, tout semblait terne et monochrome. Rien n'avait ni queud ni tête. Tout semblait sortir de nul part, pour repartir de nul part. C'était comme des segments de vie tous totalement différent, alignés simplement sur le même fil.
Un fardeau plus pénible que lourd, puisqu'en pratique inexistant, à porter sur mes deux épaules claires.
La lune, plus resplendissante que jamais, me fit de l'oeil et celui ci ridé de fatigue, m'implora de quitter ce mémoire philosophique d'un soir, qui n'est qu'autre que la fenêtre de ma chambre, pour rejoindre mon lit.

Quand je me réveilla, en sursaut et dans une panique presque effroyable, il était déjà 8h27, les rayons de soleil transpercèrent ma fenêtre et illumina violemment mon visage, alors plongé dans l'obscurité durant toute une nuit. Je me dépêcha de m'habiller, me fit un chignon ressemblant étrangement à une banane et attrapa mon sac à dos. Lorsque je claquai la porte d'entrée derrière moi, je vis mon chat miauler langoureusement pour que je lui ouvre la porte. Énorme blague, pensais-je, j'étais tellement en retard que je ne pris même pas le temps de le caresser. Je déboula la rue en pente d'en face de chez moi, on voyait d'ici toute la ville mais je ne pris pas le temps de m'attarder sur le sujet, puisque je vis au loin mon bus jaune criard s'arrêter au croisement de rue. Je ne sais pas par quel moyen, sûrement grâce à l'adrénaline, je réussis à courir assez vite pour pouvoir le prendre de justesse.

Une fois dans le bus, je tirai mon chignon à droite et à gauche pour le resserrer. Mes larges mèches brunes tombaient maladroitement sur mon nez retroussé, et suivirent la forme rebondit de mes joues rouges.
Enfin assise, le bus suit son chemin à habituel, et moi mon ennuie tout aussi modeste. Mon sac sur les genoux, je reprenais mon souffle presque court.

Arrivé au lycée, je sauta les deux marches du bus pour rejoindre le trottoir ensablé du parking qui, parsemé d'arbres secs, rejoignait et un groupe de fille, mes amies, et un groupe de gars abritant parmis cette foule d'heteros homophobes un gay, mon meilleur ami. Comme chaque matin, j'embrassai mes amies une à une en papotant, leur demandant ce qu'elles avaient fait durant ce week end. Malgré leur enthousiasme à raconter leur vie, je la trouvais toujours aussi fade et ennuyeante. Maud parlait de sa nouvelle coupe de cheveux, une frange épaisse tombant sur son front blanc. Elodie parlait de son nouveau mec rencontré en boîte, un gars plus vieux à ce que j'ai compris et " très très viril ". Puis les autres filles papotaient entres elles, me demandant aussi comment j'allais.
- Rien de bien nouveau, lançais je. La routine.
Et je m'en alla.

Je rejoignis, quelques mètres plus loin, mon meilleur ami, Jeremy. Je connaissais Jerem depuis très longtemps et je ne m'en suis jamais plain. Il est très ouvert d'esprit, et pas une fois il ne m'a pas écouté me plaindre à cause de ma peau fade, mes cheveux gras ou mes problèmes de coeur. Il a vraiment toujours été là.
- Salut, lançais-je en l'embrassant. Ça va ?
- Et comment ! J'ai traîné dans un bar gay tout le week end, et... dit-il d'un ton malin.
- Et ?...
- Et je crois que j'ai rencontré quelqu'un !

On parla jusqu'aux portes du lycée de ce fameux gars que Jerem aurait rencontré. Il en semblait fou. D'après sa description, peut être amélioré par la passion, ce jeune homme s'appellerait Mark, à l'anglaise bien sûr ! Très grand, une teinture grise pour des cheveux en pagaille. Assez mince, et avec des yeux plus bleus que le ciel.

Une fois rentré dans le bâtiment, la sonnerie sonna. Nos chemins se séparèrent et je rejoignis ma salle, en philo. Deux heures Deuxième étage.

- Tout le monde est là ? Lança sèchement le prof.
M. Jaquier était un homme très mince et de grande taille. Il devait avoir la cinquantaine, et ses cheveux, quoique manquants, étaient gris métalliques. Son grand nez bossu soutenait des lunettes rectangulaires et fines, qui, d'après leur petite taille, ne permettait que de voir dans une certaine direction.
Dans un brouhaha infernal de début de classe, M.Jaquier tapa deux fois du point sa table et lança immédiatement :
- Vos livres, Baudelaire, les Fleurs du Mal, sur le bureau tout de suite ! Kévin, reprend là où nous nous étions arrêtés.
L'adolescent releva la tête, comme endormi.
- Bon sang, les Plaintes d'un Icare ! P.224 ! Monsieur Kevin Grai je vais appelé votre mère moi !

Et toute la classe, tournant d'une manière malsaine cette phrase, explosa de rire.
D'un geste de la main, le prof fit taire la classe et commença à lire.
- Les amants des prostituées sont heureux, dispos et repus ; quant à moi, mes bras sont rompus, pour avoir étreint des nuées.

Quelques rires bêtes s'envolèrent des rangs derrière moi, des gens sans culture qui, ne comprennant ces vers, firent des jeux de mots débiles sur la poésie de ce grand homme. M.Jaquier releva ses lunettes rectangulaires au dessus de son nez, examina chacun des élèves, y compris moi, et un silence religieux s'installa de nouveau dans la salle.

La sonnerie retentit, et dans un vacarme plus grand encore, les élèves sortirent en traînant les chaises par terre de la salle. Le professeur rangeait ses papiers, et lorsque je quittai la salle, je dis :
- Baudelaire était un homme tourmenté, noir, très noir. A la recherche d'un Idéal inaccessible. En se comparant à Icare qui se brûla les ailes en voulant s'approcher trop proche du Soleil, Baudelaire nous montre que lui aussi, s'est brûlé. Mais contrairement à cette figure mythique, il avait peur d'être oublié. C'est la peur de tout être, non ? Être oublié.

M.Jaquier, surpris, plongea longuement ses yeux bleus dans les miens. Je partis.

Après une pénible heure de sciences, je rejoignis Maud et toute la clic à la cafétéria. Derrière moi, il y avait Marie. C'était ma meilleure amie d'enfance, mais nous nous étions perdu de vue à cause de temps. Elle n'est pas appréciée dans mon groupe d'amies car elle est lesbienne, et qu'elle l'assume.
Marie, ce nom lui allait bien. C'était un nom clair, et doux. Quand elle le prononçait, il semblait glisser sur ses lèvres rosées. Marie. Marie. Quel beau nom.
Les filles, ayant remarquées que je m'étais retournée pour la regarder commencèrent à rigoler.
- bah alors Anaïs, lança sur un ton grotesque Maud, on s'est fait une nouvelle copine ?
- Allez, arrête avec ça, répondis-je. Je la regardais juste.
Et des rires sarcastiques échappèrent de la bouche de ses vipères et, fière de voir qu'elles me mettaient mal à l'aise, lancèrent :
- Marie ! Heho, la gueenasse !

Elle se retourna, et, voyant que j'étais plongé dans ses yeux noisettes beaux, si beaux, se leva violemment à cause des injures homophobes de mes amies, tout en m'offrant un sourire au creux de ses lèvres rosées.

A la fin de la journée, je rejoignis Jeremy. Nous bavardions de tout et de rien, et vient un moment où il me parle d'une certaine sortie à laquelle il aimerait que je participe. Sachant que j'étais hétéro, il m'avoua qu'il n'osait pas trop me demander. Il avait prévu avec d'autres amis homosexuels une sortie en boîte. - Pourquoi pas, répondis je. Ça me sortira un peu.
- Super ! Et bien c'est ce soir, 22h au Vieux Lits. Je t'attend là bas !

Et nous nous quittont sur ces paroles.
Dans le bus, je n'arrêtais pas de repenser à Marie. Marie. Marie.
C'était une bonne amie.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 19, 2016 ⏰

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