Chapitre 2.

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                                                         SOMBRELYS.


Lorsque Sombrelys atteignit l'extrémité du boyau étroit le long duquel elle rampait depuis une demi-heure, les feux déclinants du Soleil embrasaient l'horizon. Elle s'assit avec précaution sur l'étroite langue rocheuse qui surplombait la vallée en contrebas et laissa pendre ses jambes dans le vide en savourant cet instant de liberté.

Une heure hors du temps. Loin des autres. Sans surveillance... Un moment d'une intensité si rare qu'il lui semblait presque sentir son cœur bondir de joie.

Au dessus de sa tête, la voûte céleste s'embrasait au passage de l'énorme masse rouge qui jetait ses ombres sanglantes sur la blancheur des falaises.

La jeune fille pensa que si elle avait dû faire une description du panorama qui s'offrait à ses yeux, elle aurait d'abord souligné la majesté qui se dégageait des lieux. Sans doute à cause de l'aspect chaotique qu'il présentait.

Un vrai décor de fin du monde, où la mort se drapait de couleurs somptueuses...

Elle avait découvert le passage qui menait vers l'extérieur quelques années auparavant. Alors qu'elle n'était qu'une petite fille curieuse et maigrichonne dont on oubliait facilement l'existence à l'intérieur de la Matrice. Mais depuis ce fameux jour où elle avait bravé sa peur de l'obscurité pour s'aventurer dans le conduit d'aération décrépit, elle avait découvert la beauté du monde extérieur. Depuis, elle n'avait jamais résisté à l'envie de s'y rendre chaque fois qu'elle pouvait se soustraire à la vigilance des Bots.

En général à la fin de la journée, lorsque tous les enfants rejoignaient leurs dortoirs.

A cette heure là , il lui était assez facile de s'écarter des groupes bruyants qui se précipitaient vers les grandes salles de repos plongées dans une semi pénombre. Personne ne prenant la peine de vérifier si tous les lits se retrouvaient effectivement occupés une fois les portes fermées.

Dans la Matrice, les enfants ne risquaient rien, dans tous les sens du terme. Ils ne couraient aucun danger et ne se rendaient jamais coupables d' initiatives' déplacées. Fidèles copies de leurs aînés, ils suivaient les rails d'une destinée entièrement contrôlée par IQ, sans songer à la remettre en cause.

Manu et Annarié, ses deux meilleurs amis, étaient les seuls à connaître le but de ses escapades nocturnes parce qu'ils occupaient les lits voisins du sien. S'ils désapprouvaient sa conduite, parce qu'elle révélait une nature « extravagante » , elle savait pourtant qu'ils ne la dénonceraient jamais.

Quant aux Nursing-Bots, ces androïdes programmés pour les surveiller et les éduquer, leur domaine se situait aux étages inférieurs, sous terre. Ce qui lui laissait une bonne marge de sécurité pour regagner son lit en toute impunité, les soirs où elle faisait fi de tous les interdits .

A l'ombre rassurante de la Matrice, la vie des enfants et des adolescents gardait un rythme immuable, alternant temps d'étude et de repos, eux-mêmes entrecoupés à date régulière par les festivités organisées par la Communauté.

Une vie aussi réglementée que celle de leurs aînés dont l'existence s'écoulait dans une opulence tranquille et sans surprise.

Jusqu'au jour du Départ.

La Matrice était un monde clos, recroquevillé sur ses ressources et la population qu'elle abritait, protégé des radiations mortelles qui ravageaient le reste de la planète. Entre ses murs d'orichalque, la pureté de la race humaine était préservée, attendant le jour où la terre elle-même se serait débarrassée du Fléau de la contamination. Dans quelques générations au mieux, c'est ce que les professeurs leur serinaient...

Fondée par les Cents, ces pères fondateurs omniscients dont Sombrelys avait admiré les statues exposées au Mausolée, La Matrice se dressait à l'extrémité Nord du vieux continent. Préservée des vents putrides, loin de l'ancienne civilisation.

Loin de Mü.

La jeune fille n'avait pas connu la cité d'or pavée de marbre qui avait été le berceau de leur civilisation. Ses parents l'avaient fuie lorsque les rumeurs concernant la grande « Peste Rouge » se propageaient encore à voix basse, au sein d'un très petit cercle d'initiés.

Des scientifiques pour la plupart, qui avaient construit une première ébauche de refuge, surnommée la Cloche en raison de sa forme, au cœur des terres inhospitalières et glacées des steppes Septentrionales. Depuis cette époque, vingt ans auparavant, la Cloche s'était muée en Matrice. Sans doute en référence au rôle protecteur qui était le sien et aux extensions qu'elle avait subi.

Conçu pour ne pas abriter plus d'une centaines de personnes, l'édifice n'évoluait plus, au sens strict du terme. Tout y était contrôlé par IQ afin que l'équilibre originel ne soit jamais rompu et que les survivants mènent une vie agréable jusqu'au jour où la dernière génération pourrait enfin quitter les lieux.

« Ferai-je partie de cette génération ? »

Sombrelys soupira en songeant aux innombrables merveilles que l'ancien monde avait contenu. Elle se sentait l'âme d'un conquérant et mourrait d'envie d'explorer les contrées aujourd'hui désertées.

Une démangeaison au creux de sa paume droite vint interrompre sa rêverie et son regard s'assombrit en ouvrant sa main.

Depuis un mois déjà, elle avait remarqué la plaque rousse qui s'étalait du pouce au petit doigt comme une étoile de mer. Lorsqu'elle la touchait, sa peau lui paraissait aussi plus épaisse à cet endroit là.

Quelque chose était en marche dans son corps. Quelque chose qui l'empêchait de dormir et qu'elle s'efforçait de cacher à tous ceux qui l'entouraient.

Elle se demanda, une fois encore, si la tâche n'avait pas un rapport avec ses sorties nocturnes.

L'air qu'elle respirait ici l'aurait-il contaminée ?

Elle sentit une sueur glacée courir entre ses épaules à l'idée d'être devenue une 'Mutante'.

Le mot en lui-même était horrible !

C'était le terme employé par les professeurs lorsqu'ils parlaient des mesures d'expulsion que la Communauté avait dû prendre lors de la Fondation.

Lorsque le groupe des Cent s'était retrouvé dans cette région préservée du mal, il avait d'abord procédé à une épuration salutaire dans ses propres rangs.

Parmi les survivants qui avaient composé la colonie originelle, les 'infectés' avaient été impitoyablement rejetés.

Laissés au milieu de nulle part, sans vivres et sans armes, avec pour seule consolation la certitude que leur sacrifice préservait le reste du groupe.

Malgré les dénégations et les explications rationnelles qui étaient toujours avancées à propos de cet épisode qualifié de « malheureux », Sombrelys ne ressentait que dégoût à son évocation.

Comment pouvait-on justifier une telle cruauté ? Qui avait « choisi » ceux qui devaient être « écartés » ainsi.

IQ ?

C'est ce que disaient les tablettes d'enseignement, mais elle avait du mal à le croire.

La première loi de la Robotique spécifiait qu'aucun robot, aucun Androïde, aucune Intelligence Artificielle ne pouvait nuire, par ses paroles ou par ses actes, à l'intégrité d'un être humain. Or, dans le cas de ces expulsions, il était manifeste que la décision avait directement porté atteinte à la vie de certains émigrants. Leur abandon avait été une condamnation à mort,ni plus ni moins...

Elle referma bien vite sa main en tâchant d'oublier la marque. Si elle faisait bien attention, il n'y avait aucune raison pour que quelqu'un l'aperçoive et la dénonce... Et quand bien même une telle chose arriverait, que risquerait-elle ?

« Personne ne quitte la Matrice de nos jours, sauf lorsque sonne l'heure du Départ et je suis loin d'avoir atteint l'âge de la trentaine ».

Rassérénée par cette évidence, elle se redressa. Elle devait rentrer au dortoir maintenant. Les Bots allaient démarrer leur ronde...

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 06, 2016 ⏰

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