- Un café et une limonade, s'il vous plaît.
Billy nota la commande du couple sur son carnet, les remercia et retourna tranquillement au comptoir du bar. Il posa son calepin sur le zinc avant de s'y accouder. Ross, le barman, l'observa faire, haussa les épaules et se remit au travail. L'inefficacité de Billy était connue de tous les employés. La plupart s'étonnait qu'il n'ait pas encore été renvoyé par le patron.
- Qu'est-ce qu'il te faut, Billy ? demanda Ross.
- Un café et une limonade.Le barman hocha la tête et prépara la commande. Billy ne bougea pas du comptoir. Il en profita même pour jeter un œil au score du match qui passait à la télévision. Son équipe favorite était perdante pour l'instant. Billy ne perdait pas espoir : il restait au moins trente-cinq minutes de jeu. Les yeux rivés à l'écran, il fit mine de ne pas voir les deux hommes attablés qui cherchaient à attirer son attention. Ross le remarqua.
- Billy, fit-il simplement.
L'intéressé riva son regard à celui du barman. Ross désigna les clients du menton. Billy se retourna, aperçut la main levée d'un des deux hommes et se dirigea vers la table.
- Que puis-je faire pour vous, messieurs ?
- Ça va faire vingt minutes qu'on attend nos plats.
- Qu'est-ce que vous aviez commandé ?
- Deux cheeseburgers.Billy consulta son calepin et retrouva la feuille où il avait noté la commande des deux hommes.
- J'ai oublié de la passer en cuisine, dit-il avec un sourire.
- Ça vous amuse ? déclara l'un des deux hommes.
- Il n'y a pas mort d'homme, voyons.Les hommes dévisagèrent Billy, énervés, avant de se lever. Chacun récupéra son manteau et quitta le bar en pestant contre le serveur qui avait oublié leurs plats. Billy les regarda faire, toujours aussi amusé. En revanche, cela amusa beaucoup moins Joe Wilson, le patron de Billy, qui avait vu les deux hommes partir. Le serveur sursauta quand Joe posa sa main sur son épaule.
- Billy, qu'est-ce que tu as encore fait ?
- C'est plutôt ce que je n'ai pas fait, rétorqua-t-il sans se départir de sa bonne humeur.
- Tu es le pire serveur que j'ai jamais eu.Joe sortit de la salle pour aller fumer une cigarette. Billy l'agaçait. Il faisait fuir les clients qui passaient devant le bar et n'était pas fichu de s'occuper de ceux qui y entraient. Comme tous ses employés, il se demandait ce qui l'empêchait de renvoyer cet incapable. Il observa Billy qui déambulait lentement dans l'établissement. C'était un gosse qui n'avait pas réussi à quitter l'adolescence pour le monde des adultes. A trente-six ans, il serait pourtant temps pour lui de grandir.
A l'intérieur du bar, Billy prit tranquillement une nouvelle commande avant de s'asseoir sur une des banquettes en face de la télévision. Son équipe venait d'égaliser. Il poussa un soupir satisfait et sortit son téléphone. Sa mère avait essayé de le joindre trois fois cet après-midi. Elle voulait sûrement l'inviter à déjeuner. Si tel était le cas, Billy ne se ferait pas prier : il adorait aller manger chez sa mère, surtout quand elle faisait son inimitable tarte aux pommes et aux raisins.
Le serveur leva les yeux vers l'écran, soutenant mentalement son équipe. Le vibreur de son téléphone le dérangea. Il râla en pensant que ce devait encore être sa mère. Cependant, le numéro qui s'affichait lui était inconnu. Curieux, il décrocha.- Oui, allô ?
- Pourrais-je parler à William Hopper, s'il vous plaît ? demanda une voix grave.
- Je suis William Hopper.
- Pourriez-vous vous présenter le plus vite possible au poste de police de Newport ?Billy n'avait pas la moindre idée d'où se trouvait Newport. Mais surtout, il n'avait pas la moindre idée de ce que pouvait lui vouloir la police. Il réfléchit : il n'avait jamais rien fait de répréhensible. Il y avait bien la fois où il avait volé un CD dans une boutique de disques mais c'était il y a plus de vingt ans.
- Je ferai aussi vite que je peux, affirma Billy.
Il termina la conversation et raccrocha, interloqué. Billy n'avait jamais eu de démêlés avec la justice. Il avait toujours fait en sorte d'éviter les problèmes impliquant un passage devant le tribunal. Il rangea son téléphone dans sa poche, pensif, et revint vers le comptoir. Ross nettoyait le percolateur. Quand il vit arriver Billy, le barman lui lança un regard et se remit à nettoyer la machine.
- Ross, est-ce que tu as la moindre dise d'où se trouve Newport ?
Cette fois, Ross le regarda vraiment.
- Newport ?
Le barman réfléchit.
- Il me semble que c'est dans le Vermont, à environ quatre heures d'ici. Pourquoi ?
- Je dois me rendre au poste de police de Newport.Ross haussa les épaules et ne prêta plus attention au serveur. Billy ne s'en offusqua pas, il ne prêtait pas plus attention au barman en temps normal. Il quitta la salle pour ranger son carnet et son tablier dans son casier. Il récupéra sa veste et retourna dans la salle. Il salua Ross, qui répondit à peine, et sortit du bar au moment où Joe rentrait.
- Billy ? Qu'est-ce que tu fais exactement ?
Billy ne répondit pas et se dirigea vers sa petite Fiat garée en double file depuis ce matin. Les amendes s'entassaient sous les essuie-glaces. Billy en avait pour plus de cinquante dollars, qu'il ne paierait sûrement pas avant plusieurs mois. Avec les pénalités de retard, il s'en tirerait facilement pour au moins deux cents dollars.
Il démarra le moteur, enclencha la première vitesse et quitta la ville sans vraiment se presser. La perspective d'aller dans le Vermont ne l'enchantait pas plus que cela mais la voix de l'homme avait l'air très sérieux. Il serait sans doute dans son intérêt de se rendre le plus vite possible à Newport. Faire attendre la police n'était jamais la meilleure idée.
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Les Grands Brûlés
General FictionMolly a dix-sept ans, Billy en a trente-six. L'une vit dans le Vermont, l'autre dans le Maine. Ils ne se connaissent pas et, pourtant, la vie va les rapprocher d'une manière inattendue.