Les Grands Brûlés

Chapitre Trois

– Molly ! Le bus est là !

Billy posa son bol de céréales dans l'évier et appela une nouvelle fois l'adolescente. Molly n'était pas descendue déjeuner ce matin. Elle déjeunait de moins en moins.

– Molly !

– C'est bon, j'arrive !

Billy posa son bol dans l'évier tout en surveillant l'heure. S'il voulait être à l'heure au bar, il devait partir immédiatement. Billy ne se rappelait même pas la dernière fois qu'il était arrivé à l'heure. Il était en train de ranger son paquet de céréales quand il entendit Molly descendre bruyamment les escaliers.

L'adolescente s'empara de son manteau, accroché dans l'entrée, et sortit en claquant la porte, sans un mot pour Billy. Ce dernier ne s'en offusqua pas. Molly et lui avaient de plus en plus de mal à communiquer de manière pacifique. Généralement, leurs conversations se limitaient à des disputes. Il observa la jeune fille courir pour attraper le bus en soupirant. Cela faisait déjà deux mois mais leur relation s'était gravement détérioré.

Billy jeta un œil à la vaisselle qui commençait à s'accumuler dans l'évier. Il était temps pour lui de la faire. Mais il n'en avait pas le courage. Billy détestait ranger, il aimait son bazar rassurant. En général, c'était Molly qui finissait par faire la vaisselle. Contrairement à Billy, elle détestait ne pas ranger.

Le bus démarra au moment où Molly s'asseyait à sa place habituelle, la quatrième rangée à gauche, côté fenêtre. Personne ne s'y asseyait jamais car personne n'aimait Molly dans son nouveau lycée. Ainsi, personne ne voulait la côtoyer de trop près. Cette situation était pesante pour la jeune fille qui avait l'habitude d'être toujours entourée. La solitude, elle ne l'avait jamais connue.

Elle sortit un livre de son sac et lut quelques lignes avant de le refermer. Elle n'avait pas envie de lire ce matin. Elle prit alors son téléphone et y brancha ses écouteurs avant de démarrer une chanson de Phil Collins. La veille, elle avait reçu la lettre écrite par sa mère, la police n'en ayant plus besoin. Elle l'avait lue et relue des dizaines de fois. Sa mère désignait clairement Billy comme étant son père mais Molly n'arrivait pas à y croire. Billy était un incapable, infichu de faire la moindre vaisselle. Elle n'était même pas sûre qu'il savait repasser ou démarrer une machine à laver. Mais la jeune fille était forcée d'admettre que sa mère avait peut-être raison.

Billy avait été la seule histoire d'amour que sa mère avait eue au lycée. Après la remise des diplômes, elle s'était rendue compte qu'elle était enceinte mais elle avait alors refusé de le dire à Billy, par peur qu'elle ne gâche sa vie. En lisant la lettre, Molly avait senti les remords de sa mère par rapport à ce secret. Elle avait empêché sa fille d'avoir un père.

Molly soupira amèrement. Billy n'était pas un père pour elle. Un colocataire, à la limite, mais sûrement pas un père. Ils s'étaient encore disputés hier pour des bêtises. Plus que trois mois à tenir avant de pouvoir quitter le Maine et ce maudit lycée de Broadcastle. Ça ne faisait que deux mois qu'elle était à Muskie High, mais on la fuyait comme la peste. Elle était vue comme la pauvre petite orpheline un tantinet sauvage. Les professeurs lui parlaient toujours comme si elle était une chose fragile, alliant tact et délicatesse pour ne pas la blesser ou la froisser. Au final, ça en devenait presque vexant.

Le bus arriva devant le lycée de la jeune fille. Elle descendit en dernier, comme d'habitude, et consulta son emploi du temps. Elle démarrait avec un cours de littérature anglaise. Il faudrait qu'elle passe à son casier, elle y avait laissé son livre. Elle s'y rendit donc, les écouteurs vissés à ses oreilles et le son au maximum. Elle détestait le bruit ambiant du couloir de Muskie High. Il y avait toujours une ou deux cheerleaders répétant l'hymne du lycée ou des joueurs de l'équipe locale riant bêtement. Molly n'avait jamais aimé les cheerleaders. Leurs cheveux parfaitement coiffés l'agaçaient.