Cauchemars

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Les enfants font beaucoup plus de cauchemars que les adultes, c'est un fait. Débutant tout juste leur vie, ils enregistrent de nouvelles informations tous les jours. Beaucoup d'informations. Il faut croire que, même avant notre entrée dans le monde scolaire, tout apprentissage se fait dans la douleur, car l'assimilation de ces informations se fait sous forme de cauchemars.

Je ne me rappelle plus exactement quand cela avait commencé, mais je me demande toujours ce que mon cerveau avait bien pu enregistrer pour me faire subir ce que j'ai vécu ces nuits là.

Le même schéma se répétait régulièrement. Je m'endormais, paisiblement au début, puis de plus en plus anxieux, chaque nuit qui passait. Parfois, le matin venu, les faibles rayons de soleil qui se glissaient à travers ma fenêtre et se faufilaient entre mes paupières venaient m'indiquer que la nuit s'était bien passée et que je n'avais plus à m'inquiéter. Enfin, jusqu'à la nuit d'après. Mais quand je me réveillais et que je m'apercevais que mes doux amis lumineux n'étaient pas là, je savais qu'eux étaient à ma porte. Qu'ils restent cinq minutes ou plus d'une heure, la durée de leurs visites me paraissait toujours être une éternité. Quand ils repartaient, je restais toujours la tête enfouie sous ma couette, tremblant de crainte de les entendre revenir et espérant avoir assez de chance pour pouvoir me rendormir.

Je ne les avais jamais vus, juste entendus. Je les avais répartis en deux types: les Lacéreurs et les Cogneurs. Les Lacéreurs étaient ceux qui venaient le plus souvent. Ils commençaient toujours par griffer ma porte, légèrement, lentement, juste pour me faire comprendre qu'ils étaient là. Puis ils commençaient à s'agiter. Plus ils étaient nombreux, plus le rythme s'accélérait rapidement. C'était comme des milliers de craies hurlantes. Tous les matins après leur passage, je voyais de nouvelles éraflures sur ma portes. Apparemment, elles ne dérangeaient que moi, car mes parents n'ont jamais dit un mot à leur propos.
Puis il y avait les Cogneurs. Les pires. Il ne venaient que rarement, mais une seule de leurs visites en valait au moins dix des Lacéreurs. Il arrivaient toujours d'un coup. Contrairement aux Lacéreurs, qui faisaient leur travail de manière progressive, ils annonçaient leur arrivée en tambourinant violemment à ma porte, puis continuaient d'essayer de l'enfoncer jusqu'à ce qu'ils se lassent et s'en aillent enfin. La porte tremblait toujours sous leurs coups, et plusieurs fois, elle a semblé être sur le point de se briser. 

La différence entre ces deux types de monstres, entre ces deux types de peurs, se faisait surtout sentir par le son qu'ils produisaient. Le crissement assourdissant des Lacéreurs était une peur lancinante, sournoise, au rythme crescendo. Les Cogneurs, eux, étaient comme un soudain orage, et chacun de leurs coups de tonnerres étaient plus assourdissants les uns que les autres. C'était une peur violente, vive et intense.

Il y a un soir en particulier dont je me rappelle comme si c'était hier. J'avais huit ans. Comme tous les soirs, j'attendais nerveusement l'arrivée de mes cauchemars vivants. Tout à coup, ma porte trembla sous ce qui me sembla être comme une explosion. Des Cogneurs. Après avoir passé une journée aussi mauvaise que celle je venais de passer, c'était le bouquet. Je me cachai sous ma couette, me préparant à attendre des heures que ces monstres s'en aillent. Mais cette nuit là, les choses se sont passées très différemment de ce dont j'avais l'habitude. Au bout d'un moment, les coups des Cogneurs n'ont plus fait le même son. Ils étaient toujours là, toujours aussi violent, mais quelque chose clochait. Ma porte ne tremblait plus. Ils frappaient autre chose. Mais quoi? S'étaient-ils attaqués à la porte de mes parents cette fois? Mais pourquoi?... Non, ça ne pouvait pas être cela, les coups semblaient encore trop proches de ma propre chambre. Mais alors que se passait-il? Entre la surprise, la confusion, la curiosité et la peur, je n'arrivais pas à réfléchir correctement. Les Cogneurs frappaient toujours. Soudain, j'entendis ma porte s'ouvrir et se refermer immédiatement après. La seconde suivante, les coups des monstres étaient de nouveau dirigés vers elle, plus violents que jamais. Ils cognèrent longtemps et fort. 

Puis tout s'arrêta. Enfin. Après quelques minutes, j'osai sortir ma tête de la couette sous laquelle je m'étais caché. Mes yeux furent instantanément attirés par une silhouette sombre près de ma porte. La tête baissée, elle haletait. Elle semblait épuisée. Quelqu'un dans ma chambre? Qui cela pouvait bien être? Comment était-il entré?

Alors que mes yeux commençaient à s'habituer à l'obscurité, je me rendais compte peu à peu que la personne, ou la chose, qui était entrée était loin d'être normale. Elle était très grande. À l'époque, le petit garçon que j'étais n'avait pas pu estimer sa taille, mais maintenant que j'y repense, je dirais qu'elle faisait au moins deux mètres de haut. Elle était aussi extrêmement fine. Mais ce qui me perturbait le plus, c'était ses mains qui semblaient se terminer en de longues et fines lames.

Mon estomac se serra. Mon cœur se glaça. Était-ce vraiment en train d'arriver?

Un Lacéreur, dans ma chambre?


Ami ImaginaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant