Chapitre 1 : Changement d'adresse

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- Layra, je peux venir dans ta chambre ?

Non. Recule. Laisse-moi encore un peu de temps. Je ne veux voir personne. Je ne les supporte plus. Ces regards remplis de pitié, de compassion, de désespoir... Même parmi vous je ne peux pas m'échapper de la réalité. Dieu merci, ma porte est inaccessible, j'ai veillé à placer devant plusieurs meubles pour en interdire l'ouverture. On me prendrait pour une folle. Non, je le suis déjà. Je voudrais que tous ceux qui me connaissent m'oublient, pour ne pas voir cette sensation de perte et de tristesse qu'ils tentent vainement de cacher. Mais je voudrais aussi qu'ils se souviennent de moi, que je puisse vivre à travers leurs souvenirs et prouver au monde que j'ai existé. Penser à tout ça me fait mal, et pourtant, je ne peux pas m'en empêcher. Je souffre, et ça n'est rien en comparaison de ce qui m'attend. La fin sera pire.

- Layra ?

Je ne répond pas. Eglantine, ma petite soeur, est trop jeune pour comprendre. Elle est la seule à sourir de façon franche lorsqu'elle me voit, la seule qui ne sait rien de ma maladie. Âgée d'à peine sept ans, et déjà plus très loin de connaître la mort. La mienne. Je suis désolée. Je veux vivre. Bordel, je veux vivre comme tout le monde, créer sa famille avec celui ou celle qu'on aime et goûter à ce simple bonheur ! Pourquoi moi ? Je ne mérite pas ça ! Personne ne mérite ça ! J'ai envie de tout casser, de montrer au destin que j'ai encore de la force et que je peux continuer même sans son soutien. Néanmoins, mes crises de ce genre se calment vite. La lassitude, la fatalité ? Ou bien autre chose, je m'en fous. Je m'allonge sur la couette, et contemple le plafond. Blanc. Dire qu'autrefois, j'aurais fait une blague perverse à ce sujet en rigolant avec mes amies. Je ne veux plus les voir non plus. Imaginer leurs têtes horrifiées en apprenant ce que j'ai me suffit amplement, je ne veux pas leur causer une telle émotion. En fait, si je n'avais pas existé, personne n'aurait subi les conséquences de ce qui me touche. Pas de larmes, de cris désespérés, de sourires faux, de cauchemars qui, j'en suis sûre, hantent les nuits de ma famille. Nour, l'aînée qui a l'habitude de se vanter de ses dix-neuf ans, tente parfois d'attirer mon attention en toquant à la porte. Pareil pour Clémentine, qui du haut de ses quatorze ans, est persuadée qu'un traitement sera mis au point juste à temps. Je les ignore. J'essaye d'être invisible, pour mieux oublier ma peine comme la leur. C'est dur. Ça fait mal. Mais je n'ai pas le choix. Seul un miracle pourrait me sortir de la prison mortelle où je suis tombée.

- Layra, gémit Eglantine. Ouvre-moi, j'ai peur ! Qu'est-ce que tu as ?

- Va-t-en, je réponds, le coeur à vif.

Je suis une idiote. Ma pauvre soeur qui n'a rien fait. Je n'ai pas le droit de la faire souffrir, d'autant qu'elle m'en voudra de lui avoir caché ce qui m'attend. L'ignorance peut être pire qu'apprendre un malheur futur... Elle l'apprendra à ses dépends. En attendant, va-t-en avant de me torturer davantage l'esprit, et oublie moi. Je t'en supplie.
J'entend son soupir dépité, puis des pas s'éloignant de mon repère. Pardonne-moi. Tu comprendras, plus tard.

Je me relève doucement, et laisse mon regard vagabonder dans ma chambre. Un ordinateur, des photos, une étagère remplie de livres et de mangas... Mon préféré reste le fabuleux Log Horizon, mais j'aime aussi d'autres plus connus, comme Naruto ou Fairy Tail. Des univers loufoques, des personnages attachants... J'aurai aimé devenir mangaka, ou au moins avoir un lien avec ce monde si coloré. Dessiner, imaginer, inventer des histoires et leur donner des formes jusqu'à créé des royaumes à en faire baver les lecteurs.

Si seulement c'était possible. Si seulement je pouvais m'échapper de la réalité et vivre dans un tout autre lieu. Avec des si, on construit et réinvente n'importe quel conte. Je ne dois pas me faire d'illusions. Me battre n'est qu'une perte de temps, les médecins ont été formels à ce sujet. "C'est trop tard. Il ne lui reste que quelques mois à vivre, voir des semaines. La chimiothérapie n'y pourra rien, nous sommes désolés. Il faut qu'elle profite de ses derniers moments."
Comment profiter de la vie quand on sait que la fin n'est pas loin ? L'étau se resserre, l'envie d'exister se tord, cri puis pourri, impossible de sourire sans qu'un poid lourd comme une montagne ne vous rappelle ce qui va arriver.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 18, 2016 ⏰

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