Catherine

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"Dans une seconde chambre, une tenture à baudets et oiseaux, une petite armoire à un seul battant de sapin... " La voix précieuse et ampoulée marqua une pause pour coucher la dictée, "un corselet de toile, deux jupes en indiennes et toiles, deux vieils apollons dont un à mouches fond bleu... " Encore une pause. "A l'étage".

L'injonction me soulagea. Je restai en bas dans la boutique, lasse et l'esprit ailleurs, tandis que le notaire Lebidois, conseiller du roi, monta dans la seconde chambre avec les témoins. Marie Aimée me jeta un regard gris et s'élança sans hâte à leur suite. Les voix s'éloignèrent. Seule celle de l'homme, empreinte de l'autorité qu'il s'appliquait à conserver, me parvenait encore par bribes.

Le pas précipité d'une voisine se détacha dans l'air du matin et me fit lever la tête vers la porte.


"Ben ma Charlotte, vous v'la seule ? Y sont d'jà partis ?
- ...à l'étage.


Le son de ma voix semblait un filet inaudible.


- T'inquiète donc pas, ils vont pas te laisser dehors. Les Gardes sont là, non ? Tu s'ras r'pourvue. Y'a d'l'ouvrage en c'moment.
- Oui, Madame Suzanne est venue dès qu'elle a su et elle a tout pris en charge. Mais ils ont compté mes affaires aussi...
- T'inquiète donc pas, j'te dis. Viens manger quand t'as signé.

Et la voilà qui repartit sans attendre. Je ne l'avais jamais beaucoup appréciée, mais la vieille femme n'était pas méchante. Seulement un peu envahissante... Les cloches s'éveillèrnt. Neuf heures du matin. Je décidai d'ouvrir en grand la fenêtre de la boutique et soufflai un grand coup. Je me sentais tendue. La disparition soudaine de Catherine, ma maîtresse, m'avait manifestement plus bouleversée que je ne pensais. C'était la première fois depuis plusieurs jours que j'arrivais à avoir un moment seule. Le questionnement de la Garde, du conseiller du roi et des notaires de Richard, le fils de Catherine, m'avaient complètement épuisée. Normalement, Mare Aimée et Anne Catherine Charlotte allaient prendre la relève et je serais enfin libre. Avouons que la curiosité du voisinage n'aidait pas à la tranquillité de l'âme et finalement, c'est peut-être Elizabeth qui aura été la plus discrète.

Néanmoins, le pire était encore à venir pour moi. Aucune maîtresse n'avait de place en ce moment, et ça, je le savais très bien. Elle avait beau dire, l'Ancienne, mon compagnonnage avait bel et bien vu sa dernière heure passer sans un souffle. Je ne savais pas où aller et quitter la ville ne m'enchantait guère. Les communautés de couturières étaient rares dans le pays, et les tailleurs n'aimaient pas la concurrence, ils nous le faisaient bien assez savoir. Descendre à la capitale ? La Garde Suzanne en parlait souvent pendant les réunions, mais elle disait que c'était mieux chez nous. Peu importait, j'allais bien voir bien avec les Gardes ce qu'elles auraient à me proposer...

Marie Anne Charlotte de mon vrai prénom, j'avais dans la vingtaine, vingt-quatre ans précisément, et j'étais compagne couturière à Rouen sous Catherine Delaune. Catherine était couturière également, mais avait changé de métier pour devenir débitante en tabac et sels, à peu près vingt ans auparavant. Sa première fille, c'était Marie Aimée, elle est bonnetière ; la seconde, fille Anne Catherine Charlotte, presque mon homonyme, était plus vieille que moi, couturière également, mais au statut de maîtresse, et le fils, Richard Hippolyte, était arpenteur dans des colonies d'Amérique, à Saint Domingue. C'était lui qui avait ramené un perroquet à sa mère et l'avait convaincue de faire fortune dans le tabac.
Il ne s'était pas trompé. Veuve, la couture ne rapportait que de quoi vivre simplement, même si on était douée. Les tailleurs faisaient en sorte de réduire notre champ d'action, ce qui n'aidait pas aux affaires...
Alors Catherine fit confiance à son fils et ne le regretta pas. Il était parti en 1769 mais il faisait envoyer souvent des choses à sa mère et ses sœurs, ce qui donnait lieu à de belles agapes. J'ai pu goûter de la canne à sucre, du chocolat, du café ! Aimée me disait que seules les reines et les nobles en buvaient tous les jours, mais je ne l'ai pas crue tout de suite. Je crois que ça les amusait de me taquiner, mais elle n'avait pas tout à fait tort ce jour-là.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 29, 2016 ⏰

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L'Oracle et la CouturièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant