La décision de Cléalia

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Il était tard, mais Cléalia n'avait aucune envie de dormir. L'excitation de revoir sa sœur, la peur de recevoir des remarques de la part de sa mère, la haine de la défaite et la tristesse qui l'étranglait à présent l'empêchaient de se sentir fatiguée. Aussi décida-t-elle de regarder une série américaine, issue du Monde Contemporain. Elle parvenait à les regarder de façon régulière grâce à un petit récepteur qu'elle avait ensorcelé. Un miroir sur lequel elle avait vissé des tiges de métal et jeté un sort de réception. Elle avait trouvé l'idée de ce stratagème avec une amie de l'Institut en cours d'Histoire : il avait été utilisé par les Sorciers français durant la période de la Résistance.

Ce soir, ce serait une série policière. Pourquoi pas Castle ? C'était une série qui mettait en relation une détective un peu froide avec un écrivain un peu chaud pour des enquêtes aussi inquiétantes que dynamiques. Et drôles qui plus est. Un peu de romance et de recherche à la fois, elle aimait ça. Et ce qu'elle adorait encore plus, c'était de voir tous ces détails de la vie quotidienne des habitants du Monde Contemporain. Ils se déplaçaient en voiture, en train ou en bateau, là où elle était habituée à prendre son balai. Ils vivaient dans de grands immeubles. Regardaient la télévision et téléphonaient à leurs amis. Ils prenaient aussi leurs vacances à la mer et cela lui faisait terriblement envie. Toucher la mer. Un rêve un peu fou pour elle qui avait toujours vécu à plusieurs milliers de kilomètres de la terre ferme, dans une ville bâtie à même les nuages.

Sans même qu'elle ne comprenne pourquoi, et alors que son personnage préféré de Castle – Castle en personne – tentait de faire rire l'auditoire avec l'une de ses vannes pourries, de nouvelles larmes vinrent lui brouiller la vue.

Il y avait un peu plus d'un an, sa sœur était partie pour obtenir un Apprentissage. C'était un indispensable prérequis au passage de l'Examen. Alors que la plupart des apprentis Sorciers le faisaient vers dix-huit ans, Amalia était partie à seize ans à peine, poussée par sa mère qui la pensait capable de s'en sortir. Grâce à ses talents de botaniste et ses capacités en langue espagnole, elle avait rapidement trouvé un Apprentissage et elle pouvait se targuer, à près de dix-sept ans, d'être devenue Sorcière. Statut que bon nombre de jeunes gens n'acquéraient pas avant leurs vingt ans.

En essuyant ses larmes d'un revers de la manche de sa longue robe noire, Cléalia se trouva pitoyable. Elle aurait seize ans dans moins de deux mois. Et tout ce qu'elle savait faire, c'était râler, se plaindre ou pleurer. Ce sentiment d'impuissance fit monter de nouvelles larmes dans sa gorge. De rage, elle frappa du poing dans son matelas. Une première, une seconde et une troisième fois. Aïe ! Sa main heurta violemment le bord de la monture du lit. Le sentiment d'être ridicule la saisit et elle jeta un grand coup de pied dans son lit, le faisant crisser.

« Marre. »

Motivée par ce simple souffle, elle se releva de son lit, éteignit son transmetteur et fonça en direction de son placard. Après avoir répandu par terre le contenu de son sac de cours, elle se saisit de trois robes noires, une nuisette, sept petites culottes et trois soutiens-gorge et alla fourrer l'ensemble dans son sac à dos. Il y avait encore un peu de place et elle glissa son sac de couchage miniature, au cas où. Son portefeuille contenait quelques couronnes magiques, assez pour s'en sortir quelques jours. Elle releva alors les yeux vers la fenêtre de sa chambre, contre laquelle reposait son balai. Le ferait-elle vraiment ? Elle haussa les épaules. Elle n'en était pas sûre encore. Il ne lui restait plus que ses affaires de toilette à mettre dans son sac.

Après avoir ouvert la porte de sa chambre le plus délicatement possible, elle fila sur la pointe des pieds en direction de la salle de bain où elle réunit, en quelques secondes, brosse à dent, dentifrice, divers produits et élastiques dans une petite trousse que sa sœur lui avait offerte pour ses quatorze ans. La fermeture éclair crissa et Clélia sursauta. Sa famille avait-elle perçu quelque chose ? Elle s'immobilisa et attendit. Aucun bruit. Personne n'avait dû l'entendre. Elle attrapa le peigne qui trônait sur le bord de l'évier et fila dans sa chambre en prenant bien soin de refermer doucement la porte derrière elle.

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