4 mars 2017.

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Je sais pas comment on est censé commencer un journal. J'imagine par une petite phrase bien niaise genre «cher journal, ...».

Le truc c'est que tous ces gens qui tiennent un journal c'est parce qu'ils en ont envie. Mais pas moi.

C'est ma psy qui m'a obligée comme quoi, je cite : «Ça te ferait du bien, ça t'aiderait de te confier à quelqu'un.» C'est sûr que c'est pas à elle que je vais me confier. Elle ne peut pas me comprendre.

Mais bon après tout, autant essayer ça ne me coûte pas grand chose...

Je viens de regarder sur internet ce qu'on est censé écrire dans un "journal intime". Voilà ce que j'ai trouvé : «Un journal intime est un texte rédigé de façon régulière ou intermittente, présentant les actions, les réflexions ou les sentiments de l’auteur. Ses entrées sont habituellement datées.».

En gros il faut parler de soi, raconter sa vie.

Bon bah je vais me lancer alors.

On est en vacances, les derniers à l'être en fait vu que je suis en zone A, habitant à Grenoble. Je suis restée là pendant deux semaines. J'ai travaillé à fond, en prévision du brevet blanc, qui est vers le 20 mars. J'ai lu, j'adore lire. Ça fait sûrement intello même si ce n'est pas mon cas. Mais lire c'est mon échappatoire. On passe dans la peau d'un héros, on vit ses aventures... On oublie sa propre vie, on oublie ses problèmes.

Et puis bien sûr je suis allée dans mon jardin secret. Une petite clairière, dans la forêt. Je me suis allongée, les pieds dans l'eau, comme d'habitude. Je peux rester là des heures, coupée du monde, c'est pour ça que j'aime cet endroit, parce qu'il est coupé du monde.

Et puis, pour tromper mon ennui, eh bien j'ai décidé de commencer un journal. Ce journal.

Mais malheureusement, après demain, lundi, le 6 mars, c'est à nouveau l'heure des cours. Je redoute ce moment plus que tout. Le collège, c'est mon enfer. Surtout les récréations. Je me retrouve plongée au milieu d'élèves, je me sens oppressée, je manque d'air ! J'ai horreur du contact humain. J'en ai même peur. Moi, j'aime la solitude, je suis une solitaire. On dit que c'est une maladie d'avoir peur de la foule, sur tous mes papiers scolaires, médicaux, ou autres il y a écrit en gros : ochlophobe.

Les profs le savent. Au début ils étaient compatissants, ils essayaient de m'aider. M'aider à quoi ? Je sais pas. Mais je leur ai dit, je leur ai dit que pour m'aider, il fallait m'oublier. Alors je m'installe au fond de la classe, je prends les cours, je travaille, je suis une bonne élève mais jamais, jamais personne ne m'a vu lever la main. Pas que je ne sache pas la réponse mais surtout que ça fait maintenant.... Deux ans ? Oui deux ans, ça passe vite. Deux ans que je n'ai pas prononcé un mot. Alors tout le monde m'oublie, à mon plus grand plaisir. Les profs oublient ma présence en cours. Les élèves de la classe m'oublient. Alors oui, il y en a bien quelques uns qui sont venus me voir à la rentrée, pour sympathiser mais ils sont vite partis.

Je crois que pour la plupart ils ont peur de mon silence. Du silence. Ils ont peur du silence. Quand personne ne parle, les gens pensent et c'est justement ça qui doit leur faire peur dans le silence, penser. Ils doivent penser à leurs mauvaises actions, ressasser le passé, ou bien d'autres choses encore. J'ai compris : les gens n'ont pas peur du silence mais ils ont peur de ce que ça induit : penser. Les gens ont peur de penser. De penser. De penser.

Ça me semble bizarre parce que comme je ne parle jamais je ne fais que penser. Penser, penser et penser. Comment avoir peur de penser ? Comment font les gens qui ont peur de penser ? Chez eux, comment ils font ? Ils ne peuvent pas tout le temps parler pour combler le silence ! Et comment font-ils pour ne pas rêver ? Parce que rêver, c'est penser. C'est ton inconscient qui prend le dessus. Et il fait ressurgir des moments de ta vie, tes pensées. Je ne sais pas si vous comprenez mais rêver, c'est penser. Alors c'est gens là ne dorment-ils pas de la nuit ? Ont-ils peur de s'endormir ? Comme ils doivent être malheureux....

Je vais te laisser. Manuella m'appelle pour manger.

Elsa.

Plume mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant