Chapitre 1

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" Le désir est sensuel, une manifestation du libre choix ; l'attachement, au contraire, est l'ennemi du libre choix. "

Ma main flanche de gauche à droite, j'exécute un mouvement souple et rapide à la fois. Mon crayon au bout des doigts, la mine grattant le papier ferme quadrillé, je ne m'arrête pas. Emballée, je continue ma parabole. Je n'entends plus rien autour de moi, c'est le vide total. Un long bruit aigu me sort brusquement de mes pensées. Je la détesterai toujours. Cette sonnerie annonçant la fin d'une heure de cours qui me paraissait déjà pénible en arrivant devant la porte du local.

" Je vous conseille très fortement de revoir le cours d'aujourd'hui, vous en aurez besoin. " lance le professeur de Physique, tentant de se faire entendre sans crier au milieu des élèves rangeant leurs affaires.

Je fixe mon cahier un instant, observant mon œuvre, et essayant de décoder ce que mon esprit a voulu transférer sur papier. Je détourne enfin les yeux pour fixer ma voisine, repliant ses deux classeurs, son bouquin, son agenda ainsi que son plumier, qu'elle finit par glisser à sa place dans son sac. Je pense à éventuellement prendre exemple et m'arrête une demi-seconde, mon cahier et le crayon à la main. Après quelques instants de réflexion complexe, je jette mes affaire dans mon sac, et sans prendre la peine de le fermer, le passe à mon épaule pour m'enfuir de ce local émanant des relents de transpirations. C'est la fin de la journée, le moment que je préfère, même si celui ne dure pas longtemps.

Dix minutes plus tard je le retrouve coincée au milieu de deux-millions-cinq-cents-soixante-milles et vingt-quatre dixièmes élèves, tous rassemblés dans le même bus. Le moment que je hais le plus.
En dix minutes je suis en bas de la rue, reste plus qu'à monter. Je sens mon sac vibrer conte mon torse. Un frisson me parcourt instantanément, je plonge la main dans le bout de tissu et le fouille.

" Alors comme ça on ne m'attend plus ? "

" Désolée, Juliette, j'étais pressée ... "

Juliette est la fille complètement dingue qui me fait rire même quand je viens de recevoir une 3/20 à mon test de math. Elle sait pertinemment que je viens de lui envoyer un bobard plus gros que ma tête, mais elle va faire semblant de rien parce-qu'elle est à peu près certaine de tout savoir en Skype ce soir. Je passe la porte d'entrée de ma maison en la claquant derrière moi.

" Colleen ? C'est toi ? " crie ma mère avec sa voix perçante.

" Oui. " je reponds simplement avec le moins d'intonation possible. Ca les agace. Mes parents détestent quand je fais mon adolescente blasée. Je crois que c'est bien pour ça que je n'arrête pas.

J'escalade les escaliers en frottant mes baskets contre le carrelage, ce qui faut résonner un bruit de sifflet dans toute la maison. J'imagine la tête de mes parents et je m'en mors les doigts. Je pousse la porte de ma petite chambre et balance mon sac sur mon lit, avant de m'y étaler et d'ouvrir mon portable.

"2 nouvelles notifications"

Je m'empresse d'ouvrir le message de Juliette, accompagné d'une photo, que mon ordinateur met du temps à charger.

" Devine avec qui on est en math ! "

La photo s'affiche enfin, et je comprends directement les ondes positives que j'ai ressenti en lisant le message de mon amie. Enzo Costani...

" Il faut que tu arrêtes, tu ne le connais même pas ... Et puis, tu as Baptiste. " je lui envois en trois clics. Bon, peut-être que j'y vais un peu fort, mais je ne veux pas qu'elle se fasse d'illusions.

" Baptiste ? Le mec avec qui je sors mais qui flirte H24 avec une certaine Liza ? Connais pas. "

" Arrête, je suis certaine qu'ils ne se sont pas vus des vacances. "

" Tu as oublié qu'ils étaient dans le même camp de vacances ? "

" Bon, d'accord... Il va peut-être falloir qu'on intervienne, demain je l'enterre. "

" Ouais, fais ça ! "

Je claque l'écran de l'appareil sur le clavier et sors péniblement de mon lit. Pour une journée de rentrée, je me trouve bien fatiguée. Qu'est-ce que ça va donner dans deux mois ? Je sors une chemise plastique de mon sac et prends deux feuilles cartonnées que je découpe en quatre, pour y inscrire les noms de toutes les branches de cours que j'ai année.

" Les filles, à table ! " ma mère hurle à travers toute la maison.

Je me lève avec hâte de mon bureau et sors de ma petite chambre en désordre. Je passe devant la chambre de ma soeur Jena, et m'arrête nette en entendant ce qu'elle vient de prononcer au téléphone. Je pousse la porte et la regarde avec insistance. Elle finit par raccrocher et me lance deux mots accompagnés d'un soupir.

" Tu veux quoi ? "

" De qui tu parlais au téléphone ? " je lui demande en jouant au policier en salle d'interrogatoire.

" D'Enzo Costani, c'est un nouveau. " me répond-t-elle tout à fait normalement.

" Oui, je sais qui c'est.. Il est en math avec moi. " je parle dans mes lèvres, les sourcils froncés, attendant qu'elle développe.

" Tout le monde ne parle que de lui. Il parait qu'il est ma-gni-fique. "

Je ne réponds rien, et reste bouche bée pendant dix bonnes secondes.

" Oui, c'est vrai qu'il est pas mal. " je finis par dire avant de sortir de la pièce.

" Attends, toi, Colleen Palvi, tu viens de mentionner qu'un garçon était beau ? Pou quelque choses, de rare, mon Dieu, et moi qui te croyais lesbienne ! "

" Ferme-la Jena ! "

Je ne reviens pas, ce mec débarque au lycée, et le soir même j'en entends parler dans tous les coins. Ca doit être insupportable de vivre comme ça. Toujours quelqu'un pour raconter ses chaque faits et gestes. Je suis impatiente de me retourner en cours de math, quitte à voir de mes propres yeux ce garçon déjà si apprécié. Je parie qu'il n'a encore parlé à personne, et que ses dents sont moches, sauf que du coup, personne ne le sait. Je me demande ce qu'il pense, en ce moment, je me demande s'il se rend compte que des filles de l'âge de ma soeur, soit trois ans en moins, sont déjà en train de fantasmer. Je me demande si cet être si demandé en es devenu égoïste, en fait, je ne sais pas si je veux le savoir.

DaylightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant