Chapitre 1:
VIVIANE CLAIRE NKOULOU
Je tends la main bien à plat vers Sonia. Elle tchipe et me toise.
− Donne-moi mon argent, répété-je pour la énième fois.
− Je t'ai dit que...
− Sonia, je t'ai aidé parce que tu étais dans le besoin. Mais je ne me retrouverais pas dans la rue parce que tu tiens à jouer à la fille malhonnête avec moi. Si tu es sage – et j'espère que tu l'es vraiment, qu'il y a quelque chose sous l'immense tissage qui étouffe les cellules de ton cerveau – tu me remettras ces 40.000Francs sans rechigner. La vie ne s'arrête pas ici, donc dépêche-toi.Son copain qui était allé recharger du crédit dans son téléphone observe la scène. Il m'écoute menacer sa copine sans intervenir, ce qui m'étonne.
− Mon père, dis-je en accostant ce dernier, nous sommes tous des êtres humains, appelés à avoir besoin d'autrui un jour. Parle-lui, je t'en prie. Je n'aime pas le désordre.
− Vivi, ne me...
− Sonia, remets-lui son argent. Je t'ai donné 50.000Francs tout à l'heure. Qu'est-ce qui t'empêche de lui remettre les sous que tu lui as emprunté ?Sonia regarde son mec avec stupéfaction. J'éclate de rire.
− Qui t'a branché ?
− Pardon, ma chérie, ton homme va te rembourser. Il vient d'affirmer qu'il n'est pas dans le besoin.Sonia râle et fouille dans son sac à main assez gros pour porter un enfant de dix ans. Avec une mauvaise foi évidente, elle me tend quatre billets de 10.000Francs que je prends avec les deux mains, comme le font les notables de l'Ouest.
− Merci, la mère. Dieu va te bénir.
Elle tchipe et s'en va en faisant des remontrances à son homme. Ce n'est plus mon problème. Je me suis levée très tôt pour venir la cueillir devant son studio et ma sortie a été fructueuse. Le mois s'annonce difficile et je ne veux pas prendre le risque de ne pas payer mon loyer comme prévu. Je le paie tous les trois mois et les délais approchent. Je stoppe un taxi à 100Fransc pour Bonamoussadi. Ma chambre d'étudiante est cachée, mais n'est pas située su loin de la route principale. Je suis à une dizaine de minutes à pas de grand-mère de l'École de Poste.
J'arrive à la cité. Judith et Christelle, mes deux voisines les plus proches qui partagent la même chambre, me saluent avec bonne humeur. Je me hâte d'aller cacher l'argent dans ma valise. Nous nous embarquons dans une discussion âpre sur les hommes et la fidélité.
− Un homme fidèle est un homme qui a au moins dix femmes dehors, dit Christelle.
− Ou qui sait mentir, complété-je en sortant des vêtements que je dois laver.
− Les hommes fidèles existent, rétorque Judith avec assurance. Mon gars...
− Pardon, excuse-nous ! la coupé-je aussitôt. Nous savons déjà ce qu'il va suivre.Judith éclate de rire.
− Ne sois pas aigrie, ma sœur. Un jour, ton homme va se calmer.
− Celui-là... On ne peut plus rien pour lui. Mais il est déjà calmé. C'est un gars sérieux. Ce sont juste les femmes qui ne veulent pas le laisser tranquille.
− N'est-ce pas ! commente narquoisement Christelle. Je vous conseillerais de donner votre vie à Dieu comme moi et d'attendre le mari qu'il vous réserve.
− Amen, Sœur Christelle ! Le jour où on donnera les maris sérieux dans ton église, appelle-moi. Je viendrais chercher le mien. D'ici là, je vis ma vie. À 22ans, je vais vivre comme une sœur ou une laide fille que tous les gars du quartier ont rejetée pour quelle raison ? Il n'y a pas la photocopie de la vie.
− Exact, appuient les deux femmes en se mêlant à mon rire.Je jette un coup d'œil vers le réchaud à pétrole près duquel les deux femmes s'activent.
− Votre marmite sent bon, dis-je en me grattant le ventre. On mange quoi aujourd'hui ?
− On avec qui ? demande Judith. Viviane, tu exagères. Tous les jours ?
− J'ai le moule, ma mère ? demandé-je en riant. Si j'ai faim, je viens demander. Mathieu 7, verset 7, n'est-ce pas Christelle ? Demandez et on vous donnera.
− Chacun son tour. Tu cuisines demain.
− Pas de soucis. Vous savez que vous aimez ma cuisine. Je vais aller chercher un peu d'argent chez mon copain et je vais nous cuisiner quelque chose de bon.