2. Bienvenue à Windfall

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Je m'étais toujours crue invisible, inutile. Un atome libre et sans attache, flottant dans l'air au gré du vent. Je pensais être de ces êtres qui s'effacent des mémoires, promis à l'oubli. Je pensais que j'étais trop microscopique et légère pour laisser ma trace. Je me croyais vouée à être passagère et éphémère, une lumière qu'on aperçoit rapidement puis qui s'éteint.

Je fus agréablement surprise par le nombre de personnes qui s'enchainèrent à mon chevet. Quasiment toute ma classe était venue me rendre visite pour me partager des paroles douces et réconfortantes. Je fus tellement touchée que, assise au bord du lit d'hôpital, j'en eu les larmes aux yeux. Ces pleures étaient un véritable paradoxe, car ils étaient provoqués à la fois par une immense joie et un profond chagrin. La joie d'enfin me rendre compte que j'étais aimée, la tristesse que ce moment soit venu si tard. Trop tard, même.

Face à tous ces gens, dont, pour la plupart, je n'avais rencontré que brièvement, j'aurais sûrement bafouillé et opté pour un comportement gênant. Mais Queen, elle, savait parfaitement gérer la situation, souriant à pleines dents et répondant aux questions dont l'assaillaient mes camarades. Je devais avouer qu'elle était douée avec les gens, bien plus que je ne l'étais. Cette vérité frappante eut le don de me rappeler mon écrasante infériorité. Soudain, le chaleureux tableau que m'offraient mes nombreuses visites au chevet de Queen, qu'il pensait être moi, devint horriblement insupportable. Une boule de rage et de dépit, me brûlant de l'intérieur, s'empara de moi aussi rapidement qu'une bougie s'éteint lorsque l'on souffle dessus. Je sortis de la chambre en passant à travers la porte. Cette fois-ci, je ne tentai pas de mettre de l'ordre dans mes pensées, et laissai donc libre court à mes violentes émotions. L'avantage, quand personne ne vous voit ni vous entends, c'est que vous pouvez crier autant que vous le voulez. Plantée au beau milieu du couloir, je me mis à hurler toute ma colère. Des larmes de rage glissaient le long de mes joues et se perdaient dans l'hôpital. Je me mis à insulter Queen et son assurance, mes camarades qui me montraient leur affection seulement après mon accident, mes parents qui n'avaient pas vu que j'allais si mal, Elias qui ne m'aimait pas, la voiture qui m'avait fauché la vie, et la vie, tout court. Oui, je traitai de tous les noms la vie. J'insultai ce foutu destin, cette crétine de tristesse, ces putains de complexes, cette colère enfouie au fond de moi, la malchance et l'avenir incertain. Je criai aussi contre la peur, cette angoisse qui me serrait la gorge sans jamais me quitter, la crainte qui tordait mon estomac maintenant que j'étais seule. Et puis tiens, la solitude aussi allait passer à la casserole. Cette solitude qui pèse sur le dos de tout le monde, même ceux qui sont bien entourés, comme pour nous dire que l'on ne peut compter sur personne, que le monde nous a déjà abandonné.

J'hurlai aussi contre moi-même, pour terminer. Je hurlai parce que je n'avais jamais su dire ce qu'il y avait à dire, que je n'avais jamais pris soin de moi-même, que je ne m'étais pas épargné du jugement des autres et des petits tracas du quotidien, si futiles sont-ils. Je me criai dessus parce que tant de choses auraient pu se déroulé, j'aurais pu attraper tant de mains tandis que l'on me les tendait, parce que ma vie, c'était ma chance, et que maintenant, j'étais morte. J'étais morte. Alors j'eu envie d'insulter la mort, mais mon cœur était sec et mes mots comme coincés.

A court d'insultes et de haine, je me mis à pleurer de plus belles. Pas de ces jolis pleures, avec de délicates larmes silencieuses qui ruissellent sur vos joues roses et humides. Je vous parle de l'horrible sanglot, le sanglot suprême, celui qui vous serre la poitrine si fort que vous avez l'impression que vous allez mourir. Celui qui est resté tapie au fond de vous, celui qu'on garde pour la fin, le bouquet final, quand il n'y a plus aucune chance et qu'on n'en peut plus. Ce sanglot-là, celui que vous contenez depuis si longtemps que lorsqu'il se libère enfin, sa puissance est incomparable au reste du monde. Celui qui, enfin sorti, vous ne pouvez plus le ravalez, le remettre dans l'endroit sombre où vous l'avez caché, et qui dure comme éternellement, si long que même lorsque vous ne vous rappelez plus de la cause de vos pleurs, il est toujours là, qui s'écoule encore et encore.

L'éternité ne dure jamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant