Chapitre n°1 : Les Montagnes Jaunes

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"Mesdames et messieurs. Bienvenue à bord de Air China en direction de Fuzhou. La durée du vol est de 16h . Le décollage est imminent. Merci de rejoindre votre siège et attacher votre ceinture. Veuillez suivre les règles de sécurité expliquées par les hôtesses au milieu de l'allée. Nous vous souhaitons un agréable vol en notre compagnie. " 

L'avion commença à avancer lentement sur la piste. Les hôtesses démarrèrent leurs indications habituelles, un sourire chaleureux sur leurs lèvres pour détendre les passagers les plus angoissés. J'écoutais celles-ci d'une oreille distraite. Je me retenais d'éclater de rire dans l'avion, ce qui aurait été très malpoli! Ma demi sœur,  Maryn, agrippait son accoudoir comme si sa vie en dépendait. Je fus même surprise qu'elle ne l'ait pas encore déchiqueté vu la force avec laquelle elle enfonçait nerveusement ses ongles dans celui-ci. La pauvre! Elle avait une peur bleue des avions. Enfin...Du vide plutôt! Et puisque, comme vous l'aurez deviné, l'avion vole dans les airs à plusieurs kilomètres du sol : un énorme vide nous sépare du bon vieux parterre rassurant. C'est pourquoi elle s'affolait à mesure que l'avion avançait vers sa piste terminale de décollage. Selon elle, rien ne pouvait lui faire plus peur que cette expérience. C'était la pire de toute. 

A sa gauche, sa sœur Lise, mon autre demi sœur, regardait nonchalamment à travers le hublot. Elle devait surement penser aux nombres d'heures qu'elle pourrait dormir durant le trajet. C'était une vraie marmotte et ce n'est pas un petit avion chinois qui allait la perturber. Pour ce qui est de moi, je crois que le trajet va être interminable. Je siégeais à côté d'une fillette trépignante. Elle n'hésitait pas à mettre ses pieds sur mon siège, taper des poings contre le fauteuil devant elle, créant le mécontentement des passagers, et ne cessait de changer de position toute les trente secondes. Effectivement, le vol va être très très très long!

Enfin, les hôtesses reprirent leurs places initiales et l'avion finit par décoller dans un grand vacarme. Et malgré tout ce bruit, j'entendis tout de même Maryn qui hurla tout le long de la montée de l'appareil. Elle me fit beaucoup rire! 

Nous nous dirigions vers le continent du soleil levant. Et après plusieurs heures interminables, nous aperçûmes les premiers rayons de lumière sanguinaires qui transperçaient l'obscurité. Le ciel devint peu à peu rouge sang, baignant l'avion d'une ambiance lugubre. Les montagnes Jaunes, où nous devions séjourner, pointèrent leurs sommets à travers le brouillard matinal. Elles avaient réellement une couleur jaune grâce au lever du Soleil. Mais pas un jaune dorée comme du beurre sur une tartine, mais d'un jaune pâle peu attrayant. On aurait dit des aiguilles de souffre qui menaçaient le ciel. Je fus prise de frissons. Pas vraiment accueillant comme premier aperçu de la Chine! 

Nous atterrîmes à Fuzhou à 18 h précises. Après avoir repris nos bagages, nous sortîmes de l'aéroport et primes un taxi. Nous donnâmes l'adresse au chauffeur et nous partîmes en direction du mont Huangshan. A peine le contact fut mis, que Maryn, qui n'avait pas parler jusque là, ronchonna :

"C'était juste démentiel et dangereux! C'était de la folie de prendre l'avion! Nous arions pu nous crasher! C'est fini! Je ne vous ferais plus confiance! C'est de la folie! Démentiel!, répéta-t-elle encore affolée.

-Tu sais qu'il va falloir un jour revenir en France sœurette!, ricana Lise.

-Je m'en contre fiche! Je ne remonterais pas dans un avion! On prendra le bus, le train, le bateau...tout sauf l'avion! Ou l'hélicoptère!

-C'est dommage car nous avons déjà pris les billets retour, renchéris je.

-Je veux pas savoir! Je marcherais s'il le faut!, s'acharna-t-elle."

Elle continua encore pendant une bonne demi heure créant l'hilarité dans l'habitacle de la voiture. Le chauffeur nous regardait d'un regard étrange. Surement nous trouvait il folles! 

Un peu plus tard, nous empruntâmes une route sinueuse et très escarpée. Nous débutâmes notre longue montée à travers la vallée. Ou plutôt les vallées. La nuit prit place brusquement sur les hauteurs. La neige se mit à virevolter, puis soudainement à tomber telle une cascade de gel. On ne voyait pas plus que dix mètres devant soi à l'avant de la voiture. L'épais voile grisâtre de neige nous bouchait totalement la vue et rarement nous avions l'occasion de percevoir les alentours. Près de la portière droite arrière de la voiture, je scrutait le dehors, cherchant le moindre signe capable de nous indiquer notre position. En un bref instant, j'aperçus l'extérieur. Je me détournais immédiatement de celui-ci prise de panique. L'accotement de la route effleurait les roues du véhicule. Il n'y avait pas de barrières de protection et la fin de la route donnait sur un ravin abrupte de près d'un kilomètre de profondeur. Malgré le danger proéminent, le taxi roulait à une allure affolante.

Je tentais de garder mon calme. Je me sentais pâlir et trembler. Je pris de grandes gorgées d'air pour me forcer à me calmer. Lise, assise à mes côtés, remarqua mon malaise et me demanda inquiète :

"Ça va Tressie? T'as l'air mal à l'aise...t'as le mal des transports c'est ça?"

Alors que je m'apprettais à acquiescer pour ne pas faire paniquer tout le monde à bord, Maryn s'écria à l'avant du véhicule, faisant faire une légère embardée au chauffeur. Les roues furent un instant prêtes à foncer tout droit dans le vide. Heureusement, le chauffeur fut très vif et nous évitâmes une chute fatale d'une fraction de seconde. Le chauffeur, tellement crispé sur son volant n'osa même pas réprimander la passagère. Mais pour ce qui est de Lise, les réprimandations ne se firent pas attendre :

"Mais tu est complètement dégénérée !!! C'est quoi ton problème?! Tu as faillit nous tuer abrutie! Expliques toi immédiatement!

-Désolé! Mais vous n'avez pas vu?

-Mais vu quoi bordel?! La mort de près? Ah ça oui je te l'assure!

-Arrête de faire la maligne! Je parlais de la silhouette au bord de la route!

-Mais tu dis n'importe quoi! Il n'y avait absolument rien! 

-Je t'assure que si! Faudrait peut être que tu t'achètes une nouvelle paire d'oeil car je te l'assure je n'ai pas rêver!

-Je te jure que je vais..."

Les deux sœurs se disputèrent longuement et le ton ne fit que monter considérablement dans la voiture. Je restais stoïque et interdite. J'avais vu la fameuse silhouette. Mais contrairement à Maryn, malgré la vitesse, j'avais nettement distingué ce qu'elle était. C'était le cadavre d'une chèvre. Toute maigre et rigidifiée par le froid, la carcasse gisait, attachée par les cornes à une branche, dans une position des plus étranges. Les yeux vitreux grands ouverts et la bouche ouverte dans une grimace effrayante, elle semblait être figée en pleine torture. Comme une mise en scène macabre. Mais le pire ne résidait pas en ce cadavre mais plutôt l'écriture de sang qui barrait son pelage. " La vie ne tient qu'à un fil". Un message tout simple mais tellement frustrant, sanglant, oppressant, et sinistre. Je me concentrais sur la route, plus pâle que la mort elle même, en priant pour que se soit le décalage horaire qui me joue des tours...

Coupe gorgeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant