Un jour

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Ils sont debout l'un devant l'autre. Le tramway vient de repartir, les laissant maladroits sur le quai. Louis a les mains dans les poches de sa veste, ses joues colorées de petits pigments roses à cause du froid, Harry, lui, a les yeux un peu rouges mais il ne dira pas pourquoi. Ils se regardent sans savoir quoi se dire – ou peut-être ont-ils trop de chose à se dire, justement. Autour d'eux des gens marchent sans savoir que le monde vient d'être retourné.

Harry finit par tendre lentement sa main (il faut être Harry pour oser) et il touche du bout des doigts la joue gelée de Louis. Ils rient un peu. Louis secoue la tête et la baisse doucement. Il souffle un nuage de vapeur avant de dire, la voix entrecoupée de ce rire nerveux :

-Je ne m'attendais pas du tout à... Tu sais. Toi.

-Moi non plus. En fait.

Ils se sourient encore, mais moins parce qu'ils sont heureux, juste par une sorte de politesse convenue. Le cœur de Harry devient lourd à regarder Louis. Il ajoute :

-Ou plutôt, je voulais t'apercevoir, mais pas comme ça. Pas directement.

Louis hoche la tête. Il comprend.

-Tu allais au Centre ?

-Oui. Je voulais reste un peu devant... Pour regarder si tu allais venir.

Louis se mordille la lèvre. Il regarde Harry.

-Et si j'avais changé de lieu de travail ?

-J'étais sûr que non. Tu l'aimais trop cet endroit.

Louis a un rire qui secoue ses épaules. Lui aussi maintenant, a le cœur lourd. Harry lui a souvent fait cet effet là. Harry l'a souvent rendu triste, par son absence comme sa présence. Il le regarde sans un mot.

Un nouveau tramway s'arrête, des gens descendent, les bousculent, ils restent sans bouger et sans parler, juste ça, se regarder dans la lumière rose du petit matin.

Harry tend à nouveau sa main vers la joue de Louis et cette fois son pouce la caresse lentement et puis glisse sur sa nuque, contre son écharpe de laine douce, et puis encore, il attire Louis contre lui et le serre fort, fort, le nez contre ses cheveux, cette odeur inchangée, il le serre et il dit :

-Louis Louis Louis Louis.

et

-Je t'ai retrouvé.





*

« Si je te demandais, un jour, n'importe quand, de t'enfuir avec moi,

tu ne le ferais pas, n'est-ce pas ? »

« Je ne le ferais pas, non. »

*





Ils marchent dans les rues. Au hasard. A un moment, Harry murmure :

-Tu vas être en retard au Centre.

Louis hausse les épaules. Et puis il sourit un peu.

-C'est mon jour de congé normalement. J'allais juste au bureau chercher des papiers mais ce n'est pas très grave.

Alors ils continuent de marcher sans but. Ils remontent les rues, contournent les grandes places. Ils marchent encore. Ils vont jusqu'au parc, traversent une étendue d'herbes folles. Le monde est vert pâle et jaune d'or. Ils respirent en faisant de la vapeur. Ils montent une colline, et puis, s'arrêtent. Devant eux, une grande pente et puis en bas un pont.

Louis jette un regard à Harry. Sa bouche aux couleurs aquarelles tremble un peu. Ses joues sont piquées par le froid. Lentement, il lui prend la main et la serre entre la sienne.

-Ca va ?

-Oui.

Harry ne lâche pas sa main. Ils descendent ensemble la grande pente. En courant presque. Louis trébuche et tombe, Harry avec. Ils roulent sur quelques mètres, se relèvent. Leur tête tourne et ils ont de l'herbe sur les genoux. Quand ils arrivent en bas, ils sont essoufflés et rient comme des gosses. Harry a des fossettes. Et des yeux de la même couleur que l'herbe pleine de givre.

Louis se souvient qu'avant, il lui écrivait des poèmes.

Ils vont sur le pont. De là-haut, la vue est panoramique. La ville, qui s'allonge vers la droite, étend ses bras de lumières et de blocs de bétons. A gauche, la forêt qui commence et des champs. Et au milieu, séparant ces deux mondes, la rivière. Ils s'accoudent à la barrière et regardent en dessous. L'eau tourbillonne, sombre.

Ils reprennent lentement leur souffle et puis Harry finit par dire :

-Je suis revenu depuis vendredi.

-C'était bien ?

-Quoi ?

-Là-bas.

Harry sourit un peu.

-C'était bien « là-bas ». Mais à la fin j'avais hâte de revenir.

-Pourquoi ?

Harry tourne la tête vers Louis. Il soutient son regard pendant quelques secondes, jusqu'à ce que Louis baisse les yeux. Alors il répond :

-La ville. Les ciels. Je ne sais plus. J'avais... Cette mélancolie de l'endroit. De l'enfance, sûrement. Et puis de toi.

Les joues de Louis rosissent. Il soupire. Se redresse un peu, et regarde le ciel.

-Je t'écrivais toujours des lettres pour ton anniversaire.

La bouche de Harry s'étire en un sourire.

-Je n'ai rien reçu.

-Je n'ai rien envoyé. Mais je les ai gardé.

-Je pourrais les lire ?

-Si tu veux.

-Tu connais mon âge alors, maintenant ?

Louis se tourne à nouveau vers Harry. Son regard est d'un bleu gelé.

-Vingt-et-un ans.

Le nombre flotte entre eux.

Louis pense ; à l'époque, Harry avait seize ans. Maintenant vingt-et-un. C'est un homme.

Et puis il pense aussi ; à l'époque c'était interdit. Maintenant tout est possible.





*

« J'aimerais bien que tu m'embrasses toujours. Absolument tout le temps.

Quand tu m'embrasses, j'oublie que nous sommes un secret. »

*

Ancora - Larry StylinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant