Conte d'une nuit étoilée - I - Mille galants de galets

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Et soudain j'ai planté

Mes petits talons doux - entre mille galants

De galets - mon cœur chantonnant

À mon âme un couplet -

Le ciel tombait devant

Mes pas - de nuit -calfeutrés

Et jamais avait-on vu

Plus aimable portier-

Peut-être tenait-il la porte

De mon conte de fées?


10 rue Croix Baragnon. Je pénètre dans une cour somptueuse, un soir, une grosse valise rose à la main, ma minuscule Giorgia en harnais dans l'autre. Papa décharge du coffre le reste de mes affaires et le dépose derrière le majestueux portail en bois peint. Dans la voiture il y a encore Agnès Obel, enchanteresse comme le doux tourbillon d'une boîte à musique dans des paysages vastes et magiques, qui m'a bercée tout le trajet. Une langueur spéciale, cachant une excitation affolée. Je m'apprête à quitter mes parents à nouveau,à prendre mon envol, loin des ombres du passé. Je quitte Balma, la maison, le cocon dans lequel j'ai vécu l'enfer et la beauté de l'espoir, dans laquelle j'ai dansé solitaire dans la nuit de mon épreuve - les yeux tournés vers le ciel pour un peu de lumière,des flots de lumière, pour chercher le courage d'avancer, pour renaître de mes cendres et dire adieu peu à peu à la maladie...

Ce soir je sens que les anges ont pris ma main, et m'amènent vers un nouveau départ.Une nouvelle vie. Mes petits talons sur les galets, je me sens frêle avec un puissant émerveillement de petite fille. Le vent doux et velouté du soir, comme une magique invitation pleine de réconfort et de délicatesse, s'engouffre sous la dentelle bordeaux de mon haut. La cour toulousaine, comme une féerie plongée dans le sombre du soir, de l'univers plus luxueux de poésie et de promesses que jamais; je lève les yeux vers les beaux nuages d'encre du ciel nocturne, la lune, ronde et diaphane. Ma tête tourne d'une ivresse étrange et délicieuse; enfantine, renouvelée, pure comme l'espoir.

C'est comme si mes yeux criaient un bonheur tout proche, où se reflétait la beauté des lieux qui semblent m'accueillir. Extase de mon cœur. Stase douce et enivrante sous le ciel noir et palpitant de ce nouveau monde, de ce palais inespéré pour mon âme renaissante,cette cour de briques roses au sol de galets profonds de douceur et de mystère, ces grandes fenêtres hautes et intimes et ce portail qui semble un monument nostalgique de gloires passées me font penser à un château - un beau château toulousain.

Papa me rejoint et porte les bagages jusqu'en bas de l'escalier - porte vitrée, que me tient un charmant jeune homme aux cheveux châtains. Montée des valises dans l'escalier de bois ancien. Mes petits bras qui portent trois fois rien.

À l'intérieur c'est mon petit paradis promis qui m'accueille, derrière une petite porte d'entrée qui ressemble plutôt à celle d'un placard. Deux marches plus haut m'accueille un petit salon aux canapés blanc cassé, la charmante cuisine américaine et ses deux tabourets de bar blancs, pièce déjà décorée de quelques touches personnelles comme ces tableaux de mes dessins en noir et blanc. Et puis de sous l'arcade carrée m'invite la lumière de ma chambre, vaste palais pour rêver, avec son dressing plein de mes affaires, avec sa bibliothèque haute blanche sur laquelle trônent déjà livres et souvenirs, sa cheminée de marbre rouge, sur laquelle pose un tableau de Denis Fremond, symbole de la réussite (selon Michael), de douce mélancolie de solitude et de jazz; et la douceur rêveuse du grand tapis à poils beiges - une belle salle de bain enfin avec une cabine de douche centrale transparente, un lavabo et un miroir qui me font penser au charme d'un hôtel, avec beaucoup de place pour étaler mes produits, le pan de mur vitré aux petits stores blancs qui donnent sur l'intime deuxième cour...

Je m'affale sur le lit - les yeux au plafond.

Bonheur. Pointe d'angoisse.

Papa. Petit papa, tu vas me laisser?

Papa m'aide à régler le téléphone, j'enregistre un message de répondeur. Ma voix à l'écoute comme celle d'une petite fille.

- Oui, c'est ta voix, comme celle d'une petite fille...

Il est magique et merveilleux après tout ce que j'ai traversé de me sentir si jeune,rapprochée de l'enfance, comme à un nouveau départ, et je sens en moi que ce miracle ne peut venir que d'une grâce du ciel et des anges, comme une récompense... Comme une seconde chance.

Papa tu t'en vas.

Tu pars à Annecy.

Toute seule me voilà.

Dans un p'tit paradis.

Mes cheveux bouclés étalés sur la couette, comme une auréole autour de ma tête. Mon petit serre-tête avec un nœud bordeaux. Je me sens comme une innocente folie. Le cœur trop plein de rêves.



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